Pourquoi la visite de Hollande à Moscou est un tournant

Quelles seront les conséquences majeures de la rencontre Hollande-Poutine ? Le directeur de l'Observatoire franco-russe, chercheur associé à l'Iris Arnaud Dubien explique les principaux enjeux des négociations entre les deux présidents.

Depuis le discours du président français François Hollande, devant les députés de l’Assemblée Nationale et les sénateurs, le 16 novembre, lors duquel le chef de l’Etat a annoncé son voyage à Moscou et son intention de réunir les deux coalitions, un vent de scepticisme a soufflé sur les médias français.

Les observateurs et les journalistes écrivaient que le but était inatteignable. Alors qu’une partie de ces propos était le produit des opinions personnelles de leurs auteurs, une autre représentait la contre-offensive des « amis de l’OTAN et de l’Amérique », qui avaient compris qu’un moment critique pour eux était arrivé et qu’ils devaient se mobiliser. Cette humeur sceptique des médias reflétait également le point de vue d’une partie de l’entourage du président Hollande.

Tel fut le contexte dans lequel s’est déroulé le voyage de M. Hollande à Moscou.

De mon point de vue, le voyage a été plus fructueux que ne l’espéraient les partisans de cette rencontre : de nombreux signes intéressants ont été donnés concernant la Syrie et le partenariat franco-russe en général.

Concernant la Syrie, les deux pays se sont mis d’accord sur trois points. Le premier porte sur les échanges d’informations. Le deuxième traite de l’intensification et de la coordination des frappes, y compris sur des exploitations pétrolière, ce qui signifie l’anéantissement des capacités économiques de Daesh. Mais le point le plus intéressant, ce sont les paroles du président Hollande qui a dit, littéralement : «… troisièmement, les forces qui se battent contre Daesh et les groupes terroristes, ne doivent pas être des cibles pour nos avions ».

Il s’agit d’un point de compromis important entre les deux parties.

Du côté français, il réside dans la reconnaissance de l’existence d’autres groupes terroristes en dehors de Daesh. Il s’agit d’une concession importante de la part de la France. 

Mais il est évident que la Russie, en échange de cette concession, a fait un pas vers la France aussi, en « promettant » de ne pas bombarder l’opposition « saine » qui se bat contre le régime de Bachar el-Assad, mais ne fait pas partie des groupes terroristes. Si la France et la Russie se persuadent que cette entente est respectée, cela ouvrira la voie vers, non pas une coalition unique, bien évidemment, mais vers un rapprochement des positions politiques de la France et de la Russie. C’est dans les jours à venir que les parties pourront évaluer le changement opérationnel en Syrie et si les paroles se transforment en actes…

Je veux souligner le fait qu’en plus des accords sur la Syrie, ce voyage de M. Hollande à Moscou a fait avancer d’autres questions, y compris à propos de l’Ukraine. Récemment, il a souvent été dit et écrit que la coopération dans le cadre de la question syrienne ne devait pas affecter la ferme position concernant l’Ukraine et qu’il ne fallait pas échanger l’Ukraine contre la Syrie.

Et que voyons-nous au cours de ces 24 heures ? C’est le jour même du voyage de M. Hollande à Moscou, que le Premier-ministre Manuel Valls déclare, pour la première fois, « vouloir souhaiter » la levée des sanctions contre la Russie, depuis la tribune de l’Assemblée nationale. Cette allocution est très importante, car la coutume, au sein de l’Union européenne, veut que les petits « pays-taiseux » s’alignent sur le discours des pays majeurs. Dorénavant ces pays vont se désinhiber. Une autre « coïncidence » : le même jour, le ministre italien des Affaires étrangères Paolo Gentiloni a publiquement nié une information, répandue par Reuters et reprise à l’envi dans les médias anglo-saxons, selon laquelle les pays occidentaux s’étaient mis d’accord pour une prolongation des sanctions contre la Russie, lors du sommet du G 20 à Antalya.

Actuellement des mouvements tectoniques sont en cours, aussi bien au Moyen-Orient que dans les relations entre l’Occident et la Russie.