La situation autour de la déclaration du ministre britannique des Affaires étrangères David Cameron sur le droit de l’Ukraine de frapper sur le territoire russe avec des armes britanniques dans les frontières reconnues par l’Occident témoigne de processus politiques complexes à l’intérieur de l’OTAN même, sachant que celle-ci a été d’abord publiée par l’agence Reuters puis «retirée pour être révisée» et divulguée à nouveau.
En apparence, Londres, que représente un Cameron réputé pour ses convictions euro-atlantiques radicales, n’a fait que «tâter le terrain» quant à une éventuelle montée des tensions liée à l’engagement croissant de l’OTAN dans le conflit en Ukraine. Bien sûr, le degré de radicalisme antirusse de la Grande-Bretagne surpasse celui des autres pays de l’alliance, mais dans ce cas particulier, les déclarations de Londres s’inscrivent clairement dans une logique d’aggravation de sa confrontation avec Moscou. La dernière déclaration de Cameron n’a été ni la première ni fortuite.
Frappes en Russie : certains soutiens de Kiev n’ont pas mis de restriction
Pas plus tard qu’à l’automne 2023, la présidente du Comité du Bundestag pour les questions de la défense Marie-Agnes Strack-Zimmermann exigeait de fournir urgemment à l’Ukraine des missiles de croisière à longue portée Taurus, faisant remarquer que le droit international autorisait l’Ukraine à effectuer des frappes contre des infrastructures militaires sur le territoire russe. Récemment, le 10 avril 2024, Jens Stoltenberg a évoqué le droit de l’Ukraine de frapper des infrastructures russes au-delà de la zone de l’opération militaire spéciale sous réserve toutefois qu’il s’agisse d’infrastructures «militaires», un stratagème évident. Tout dernièrement, le 1er mai, la ministre lettone des Affaires étrangères Baiba Braze déclarait que «certains pays» avaient fourni des armes à l’Ukraine sans restriction de frapper avec la Russie.
Le statut des auteurs de déclarations pareilles en dit long : formellement, ce sont des officiels éventuellement haut placés, mais en même temps, ils peuvent facilement être qualifiés de «marginaux», ne reflétant pas le point de vue officiel. David Cameron, c’est une tout autre affaire.
Sa déclaration fracassante était censée devenir un point saillant dans une vaste campagne de propagande. Qu’avait-elle pour but ? N’était-ce que pour sonder la réaction de la Russie ? Cette histoire, qui n’est pas terminée, est à considérer sous deux optiques.
La première, qui est la plus évidente, ce sont les soupçons grandissants que le front ukrainien s’effrite à un moment extrêmement défavorable du point de vue politique. Il deviendrait alors inapproprié de formuler des revendications à l’égard de la Russie dans le contexte de la conférence largement médiatisée sur la « formule de Zelensky » qui se tiendra le 15 et le 16 juin en Suisse. Ce n’est pas la capacité de faire subir des pertes militaires considérables à la Russie qui est en question. Le fait que Kiev utilisera des armements à longue portée pour frapper majoritairement sur des sites d’importance politique n’est un secret pour personne. Là, l’idée principale est de tenter d’intimider Moscou par l’intention résolue de l’OTAN de faire escalader la situation. À l’évidence, la tentative n’a pas abouti.
Garder Washington dans la confrontation avec Moscou
L’optique numéro deux est la plus importante. Bien sûr, formellement, Cameron a parlé des armes britanniques à longue portée. En fait, les euro-atlantistes cherchent à disposer des armes fournies par les États-Unis. Ce sont ces armes qui viennent à constituer la base du potentiel de l’armement à longue portée des forces armées ukrainiennes. Il y a également, bien sûr, des missiles Taurus qui ne sont pas encore transférés, mais la situation de ceux-ci devient de plus en plus vague.
Et c’est un indice très important : les alliés européens des États-Unis au sein de l’OTAN craignent que les États-Unis ne tentent de rester à l’écart de la vague actuelle d’escalade voire même qu’ils n’optent pour un accord avec la Russie et la Chine dans leur dos. C’est pourquoi il faut priver Washington de marge de manœuvre en lui «liant les bras» par la responsabilité d’attaques sur le territoire russe.
La question reste de savoir pour quelle raison, compte tenu de la campagne de propagande qui arrivait progressivement à sa culmination, la déclaration de Cameron a été rappelée promptement et non sans que Londres perde la face. C’est qu’on ne doute pas qu’elle a été vraiment faite et que Reuters l’a présentée correctement (la nouvelle publication qui a suivi très peu de temps après le prouve encore une fois). La seule façon adéquate de l’expliquer serait que Washington a donné un tour de vis à Londres pour que les Britanniques n’essayent pas de devancer «la locomotive américaine» en faisant courir le risque d’un affrontement militaire direct imprévisible avec la Russie dont les États-Unis ont commencé à avoir peur.
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