Le 1er avril 1979, l’Iran a été officiellement proclamé République islamique, après la révolution qui a entraîné le renversement du Chah pro-occidental Mohammad Reza Pahlavi. En raison des sanctions imposées par l’Europe et les États-Unis contre l’Iran et du rejet par les autorités de la jeune République de l’athéisme scientifique soviétique, Téhéran s’est retrouvé dans un isolement international presque complet. Parallèlement, l’État a réussi à développer avec succès l’économie, la sphère sociale, l’enseignement et la science. L’Iran moderne est l’une des puissances les plus influentes de la région du Moyen-Orient, et participe activement à la résolution des problèmes mondiaux.
Lana Ravandi-Fadai, directrice du Centre de la culture orientale et chercheuse principale à l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences de Russie, nous a parlé des causes et des conséquences de la révolution islamique en Iran, ainsi que de la vie actuelle du pays.
La proclamation de la République islamique d’Iran a été précédée par la révolution islamique. Qu’est-ce qui y a conduit ?
Depuis les années 1950, des renversements de monarchies ont eu lieu dans tout le Moyen-Orient : par exemple, en Egypte, en Libye, en Tunisie. Les monarchies ont été renversées dans les deux États voisins de l’Iran, l’Irak et l’Afghanistan.
Les causes immédiates de la révolution étaient multiples. À la suite de la réforme agraire de 1962, tous les paysans n’ont pas reçu de terres. Or, même pour ceux qui avaient obtenu des lopins, cela n’était souvent pas suffisant pour subsister. Les paysans ont massivement déménagé dans les villes et la population urbaine a augmenté rapidement. Cependant, dans les villes, ils ne pouvaient pas non plus trouver du travail, rejoignant les rangs des mécontents.
Le chah Mohammad Reza Pahlavi a mené des réformes pro-occidentales, sans tenir compte des traditions de la majorité de la population qui était fidèle à la religion nationale, l’islam chiite. Sous le chah, des films occidentaux dont le contenu était contraire aux traditions islamiques étaient projetés en Iran, des spectacles inacceptables pour les musulmans étaient mis en scène dans les théâtres, de l’alcool était vendu partout dans les villes et l’élite organisait des soirées provocantes. Les inégalités socioéconomiques qui régnaient dans le pays sautaient aux yeux : les représentants de la cour du chah, les officiers supérieurs et les fonctionnaires menaient une vie luxueuse, construisaient des résidences chères et voyageaient en l’Europe, tandis que dans les quartiers pauvres, les gens s’entassaient dans des bidonvilles sans électricité ni les autres commodités élémentaires.
Le chah Mohammad Reza Pahlavi a mené des réformes pro-occidentales, sans tenir compte des traditions de la majorité de la population
En termes de croissance économique, l’Iran du chah était la deuxième en Asie après le Japon. Cependant, cela n’avait aucun impact sur la vie de beaucoup de gens et ils étaient mécontents. La population condamnait les répressions du chah contre l’opposition, notamment contre le clergé favorable à l’opposition. Beaucoup étaient également outrés par le rapprochement avec les États-Unis et le paiement d’énormes honoraires à de nombreux instructeurs et conseillers américains. Tout ce mécontentement a été habilement canalisé dans la direction voulue par l’ayatollah (le plus haut titre du clergé chiite) Rouhollah Moussavi Khomeini.
Comment s’est déroulée la révolution islamique en Iran ? Quelle a été la clé de son succès ?
La révolution islamique a commencé en janvier 1978, lorsque des protestations de masse ont eu lieu dans la ville de Qom, lieu saint pour les chiites. Elles ont été brutalement réprimées. Peu à peu, de nombreuses villes ont été envahies par de vastes manifestations antimonarchiques.
L’ayatollah Khomeini a été reconnu comme leader du mouvement révolutionnaire. Des pauvres, de nombreux intellectuels, des partis d’opposition se sont unis autour de lui. Bien que les forces de sécurité du chah aient exercé la violence contre les manifestants, Khomeini a interdit à ses partisans de répondre de la même manière, en insistant sur le fait que la révolution devait avoir un caractère pacifique. De nombreux militaires et policiers ont refusé de tirer sur la population et sont passés du côté des manifestants. Des milliers de personnes ont été tuées mais les manifestants ont triomphé du régime.
Le chah était absolument impuissant, hésitant entre la répression et les concessions. Il demandait constamment conseil aux ambassadeurs américain et britannique. Washington et Londres ont d’abord espéré que le chah qui leur était fidèle, conserverait le pouvoir, et ils lui ont donc permis de faire tout ce qu’il jugeait nécessaire pour réprimer les manifestations, tout en déclarant qu’ils déploraient la mort de civils.
Puis, ayant réalisé qu’il était impossible de brider les foules révolutionnaires, les pays occidentaux ont décidé qu’il n’y avait aucun sens à soutenir davantage le chah. Alors, Mohammad Reza Pahlavi s’est rendu en Égypte et l’ayatollah Khomeini, qui se trouvait à l’étranger, a fait son retour triomphal dans le pays. L’Iran a été proclamé République islamique.
Comment la politique de l’État et la vie des citoyens ont-ils changé après ?
Pour répondre à cette question, il faut prêter attention aux particularités de la vision du monde de l’ayatollah Khomeini qui a gouverné l’Iran jusqu’à sa mort en 1989. Il estimait que dans les pays islamiques, l’État devait établir des normes religieuses pour tous les citoyens dans la vie publique, encourageant la piété et dissuadant de pécher. Khomeini y voyait la clé d’un développement spirituel rapide et réussi des musulmans. Par conséquent, sous Khomeini, la vente d’alcool et les vêtements européens ont été interdits, des plages et des piscines séparées ont été organisées, et les films et les livres occidentaux ont été soigneusement censurés. La majorité de la population approuvait cette politique, mais il y avait aussi des dissidents qui quittaient massivement le pays. En conséquence, de nombreuses diasporas iraniennes principalement opposées au régime islamique se sont formées aux États-Unis et en Europe.
Je tiens à souligner que Khomeini n’était pas un tyran cruel tel qu’il est dépeint en Occident. Par exemple, il a interdit aux policiers d’arrêter des manifestants de l’opposition qui l’insultaient et déchiraient ses portraits.
Finalement, il n’est resté qu’une seule grande force politique dans le pays, le Parti de la République islamique, mais il a également été dissous en 1987 en raison de vives contradictions internes. Je tiens à souligner que Khomeini n’était pas un tyran cruel tel qu’il est dépeint en Occident. Par exemple, il a interdit aux policiers d’arrêter des manifestants de l’opposition qui l’insultaient et déchiraient ses portraits.
En ce qui concerne la politique extérieure, Khomeini s’est distancié des relations auparavant proches avec les États-Unis, Israël et l’Afrique du Sud. Mais en même temps, il n’y a pas eu de rapprochement avec l’Union soviétique : le principe de l'athéisme scientifique ne plaisait pas aux autorités iraniennes. Ainsi, l’Iran s’est retrouvé dans un isolement international et a subi l’attaque de l’Irak qui bénéficiait du soutien des pays occidentaux. Mais les Iraniens ont résisté et ont tenu bon. En 1988, la paix a été conclue aux conditions de l’Iran. En 1989, Khomeini a écrit une lettre largement connue à Mikhaïl Gorbatchev dans laquelle il saluait l’abandon par l’URSS de la version orthodoxe du communisme et l’introduction de la liberté de religion, tout en mettant en garde le dirigeant soviétique contre un rapprochement avec l’Occident.
45 ans ont déjà passé depuis la proclamation de la République islamique d’Iran. Comment le système politique et la vie publique du pays ont-ils évolué ?
Après la mort de Khomeini, un nouveau chef spirituel, l’ayatollah Ali Khamenei, est arrivé au pouvoir. Et son bras droit était Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, un homme politique très sage et très flexible, également issu du clergé. Rafsandjani a mené des réformes économiques progressives consistant à libéraliser, à donner la liberté au secteur privé et à attirer des investissements étrangers.
Cela a permis de parvenir à une croissance économique considérable. Le système politique a également connu une certaine libéralisation mais le haut clergé est demeuré au pouvoir. Plus de 200 partis et mouvements sont apparus. Les élections parlementaires et présidentielles sont régulièrement tenues dans le pays.
Ces dernières années, sous l’influence d’Internet et de la propagande des médias étrangers pro-occidentaux, il y a davantage de mécontents du régime islamique en Iran qui voudraient réorienter le pays vers une alliance avec l’Occident. Une partie des jeunes Iraniens vivant en milieu urbain s’est éloignée de l’islam et refuse de respecter les traditions islamiques, tout en adhérant à un mode de vie occidental. Ils font l’éloge de la dynastie Pahlavi déchue, ignorant les dommages qu’elle a causés à l’Iran, et ont une opinion négative sur Khomeini, ignorant ses mérites.
De nombreuses sanctions internationales ont été imposées contre l’Iran. Comment Téhéran y a-t-il fait face ? Quels résultats les autorités iraniennes ont-elles pu obtenir depuis la proclamation de la République islamique d’Iran ?
Les premières sanctions des États-Unis contre l’Iran ont été imposées en 1979. En 2012, elles ont été drastiquement renforcées. En échange, l’ayatollah Khamenei a appelé les scientifiques iraniens à travailler sur la réduction de la dépendance de l’économie au pétrole et à créer « une économie de résistance ». Pourtant, en raison des infrastructures désuètes et en l’absence des investissements nécessaires, il était impossible de se débarrasser de la dépendance au pétrole.
La pandémie du COVID a également gravement affecté l’économie. Mais le gouvernement a réussi à éviter une grave récession économique. Les industries, notamment nucléaire et pharmaceutique, continuent de se développer dans le pays. L’Iran est en général autosuffisant sur le plan alimentaire. Mais l’inflation, le chômage, la dévaluation de la monnaie nationale, le manque d’investissements ainsi qu’une certaine stagnation économique sont toujours des problèmes d’actualité.
Parmi les réalisations et les succès de l’Iran après la révolution islamique, je soulignerais la diffusion rapide de l’éducation, surtout parmi les femmes. À présent, plus de 80 % des Iraniennes savent lire et écrire, et ce chiffre est supérieur à celui de la majorité des pays du Proche-Orient. Mais la majorité des femmes ne sont pas pressées de trouver un emploi en raison des traditions régionales.
Le pays compte plus de 3 millions d’étudiants. Avant la révolution, il y en avait seulement 150 000. L’espérance de vie augmente. Avant la révolution islamique, elle était inférieure à celle de nombreux pays en voie de développement, mais elle se rapproche aujourd’hui de celle de l’Europe occidentale. Cela est dû à la construction massive d’hôpitaux et de cliniques ainsi qu’à la formation de médecins et d’infirmiers qualifiés. Des soins médicaux de qualité sont accessibles dans tous les coins du pays. Le nombre de pauvres a diminué à plusieurs reprises depuis 1979.
L’Iran est l’un des pays les plus sûrs du Moyen-Orient.
Je compterais également parmi les succès la résistance persistance à l’Occident, la défense intransigeante des valeurs traditionnelles, la protection de la société face aux tendances extérieures négatives, le refus de faire des compromis dans les questions liées à la souveraineté nationale, notamment le développement du programme nucléaire et des relations avec la Russie.
Et que pouvez-vous dire de la République islamique d’Iran d’aujourd’hui ? Comment évaluez-vous ses perspectives politiques, économiques et sociales ?
Malgré de nombreux problèmes, l’Iran maintient une politique extérieure indépendante et un régime islamique unique qui bénéficie du soutien d’une grande partie de la population. L’Iran est l’un des pays les plus sûrs du Moyen-Orient. Il soutient les efforts de la Russie pour créer un monde multipolaire. Si l’Iran réussit à renforcer les liens économiques avec la Fédération de Russie, la Chine et l’Inde et à obtenir les investissements nécessaires, on peut s’attendre à une reprise de la croissance économique, même malgré les sanctions.