Depuis plusieurs siècles, l’Afrique est un théâtre d’opérations atroces, principalement conçues et mises en œuvre par les puissances occidentales. Ces opérations de terreur ont toujours le même objectif précis : piller les ressources humaines, naturelles et culturelles de l’Afrique pour les besoins de l’hégémonie économique, culturelle et politique de l’Occident.
Au XVIe siècle, l’organisation de la traite des Noirs est devenue la première grande attaque criminelle systémique des puissances occidentales contre l’Afrique. En décidant que la peau noire était un bon critère de discrimination entre les personnes libres et les esclaves sur l’ensemble du globe, les puissances occidentales ont créé un prisme pour regarder l’humanité à travers des concepts biologiques totalement absurdes et insensés. Walter Rodney l’explique très clairement dans son essai Et l’Europe sous-développa l’Afrique, paru en 1972.
Au début du XIXe siècle, l’Afrique a dû faire face à une deuxième attaque massive de la part des mêmes puissances occidentales, après l’accomplissement de leur première accumulation capitaliste qui avait réduit en esclavage des millions d’Africains. La conquête coloniale de l’Afrique par la France, la Grande-Bretagne, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique a été une ère d’innombrables crimes contre l’humanité.
Après les succès des Africains dans leur lutte contre l’occupation coloniale au cours du XXe siècle, notamment avec l’aide du bloc de l’Est dirigé par l’URSS et la Chine, une troisième attaque a été lancée contre le continent : une fausse décolonisation qui s’est déroulée dans les ex-colonies françaises. D’un côté, le président français Charles de Gaulle, qui a libéré son pays de la domination nazie avec l’assistance des troupes coloniales africaines, a de jure reconnu l’indépendance du continent. Mais d’un autre côté, ce même de Gaulle a mis en place un système néocolonial en maintenant les troupes françaises en Afrique.
L’Afrique-Occidentale française a été divisée en 15 pays, et la Banque centrale de la France a maintenu son contrôle sur les 15 économies africaines par le biais de la monnaie coloniale, le franc CFA. La France a soutenu les pires dictateurs africains à la tête de ces États et a contrôlé les idées africaines à travers la francophonie qui représente un système de valeurs et de médias.
La trace libyenne
La naissance de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) le 28 mai 1975, s’inscrit dans ce contexte de domination continue. Alors que le Royaume-Uni réorganise son hégémonie en Afrique avec le Commonwealth, la France crée la Françafrique, une mafia d’élites politiques françaises et africaines qui porte atteinte aux droits et à la vie des peuples africains. Deux des principaux créateurs de la Cédéao en 1975, le général et président nigérian Yakubu Gowon et le général Gnassingbé Eyadema du Togo, étaient des putschistes soumis au contrôle anglo-américain et français. De facto, la Cédéao a été créée sous les auspices de l’OTAN, la grande alliance occidentale. Tous les pays de l’OTAN continuent aujourd’hui d’interférer dans les affaires de la Cédéao, d’une manière ou d’une autre. Les principes et les règles de la charte de la Communauté n’ont jamais été sérieusement respectés par ses membres, surtout par ceux qui participent aux activités de son organe de décision suprême, la Conférence des chefs d’État.
Voilà un exemple qui illustre la faiblesse évidente de la Cédéao : lorsqu’en 2011, la Libye a fait l’objet d’attaques de l’OTAN, attaques qui ont mené à la prise de contrôle du pays par les forces terroristes d’Al-Qaïda et de l’État islamique, aucune organisation politique africaine n’a considéré cette attaque comme une atteinte à la souveraineté africaine. Pire, de nombreux dirigeants africains faisant partie de la Cédéao et de l’Union africaine ont en revanche soutenu l’Occident et l’OTAN, reprenant à leur compte le discours mensonger de l’OTAN sur le régime de Mouammar Kadhafi. Ils ont prétendu que Kadhafi tourmentait son propre peuple, justifiant ainsi l’agression de l’OTAN. Cette attaque contre l’Afrique a été menée par les États-Unis sous Barack Obama, par le Royaume-Uni dirigé par David Cameron et par la France sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Comment comprendre que certains gouvernements africains acceptent ensuite une prétendue aide de la part de ces mêmes pays à des fins de lutte contre le terrorisme en Afrique ? Comment l’Afrique peut-elle accepter de coopérer en matière de lutte contre le terrorisme avec les pompiers pyromanes de l’Occident ?
«Comme on le soupçonnait à l’époque – et comme l’ont montré plus tard les courriels publiés d’Hillary Clinton – l’OTAN a agi pour empêcher Kadhafi de fonder une banque centrale africaine avec sa propre monnaie garantie par l’or. Cette institution aurait remis en cause la puissance du dollar et aurait enfin permis à l’Afrique d’échapper à ses chaînes coloniales», écrit l'Américaine Ellen Brown, fondatrice et présidente du Public Banking Institute.
Quand, après l’agression de l’OTAN, des organisations terroristes ont envahi toute la zone sahélienne et notamment le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, le Nigeria et le Cameroun, ces pays ont continué à coopérer avec l’OTAN au sein de l’Union africaine et de la Cédéao, tout en sachant que l’OTAN était profondément impliquée dans la déstabilisation de l’ensemble du continent africain.
Les grands principes de l’Alliance des États du Sahel
Les dirigeants malien Assimi Goita, burkinabé Ibrahim Traoré et le nigérien Abdourahamane Tchiani sont les trois héritiers de l’idéologie panafricaniste dans l’Afrique d’aujourd’hui. Leur engagement politique s’inspire des ouvrages des plus grands penseurs africains, notamment Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral, Marcus Garvey, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga et bien d’autres. Ces dirigeants sont convaincus qu’il n’y a pas d’espoir pour les peuples d’Afrique s’ils n’assurent pas d’abord la souveraineté du continent et s’ils ne passent pas ensuite à l’acte pour mettre en œuvre cette vision précise de son destin.
C’est pourquoi la création de l’Alliance des États du Sahel, le 16 septembre 2023, a été une véritable révolution dans la géopolitique africaine. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de reconstruire l’interaction en Afrique de l’Ouest sur des principes radicalement différents. Tout d’abord, les trois dirigeants ont prêté serment à l’issue de processus politiques révolutionnaires et internes dans leurs pays. Leur légitimité ne vient pas de l'extérieur, mais résulte d’un mouvement endogène de leur peuple. Ainsi, le chef de l’État malien Assimi Goita est arrivé au pouvoir après une longue lutte entre la société politique civile et le régime d’Ibrahim Boubacar Keita, contre lequel le peuple malien s’était soulevé à cause de sa corruption, de sa dépendance au néocolonialisme français et occidental et de son incapacité à vaincre le terrorisme. Au Burkina Faso et au Niger, les régimes de Roch Christian Kaboré et de Mohamed Bazoum ont été chassés par les sociétés civiles pour les mêmes raisons. Cette résistance des peuples ouest-africains a gagné les armées, et des forces de patriotes révolutionnaires et panafricanistes ont ainsi émergé en même temps dans tous les éléments de ces sociétés africaines.
L’Alliance est destinée à établir une nouvelle géopolitique ouest-africaine fondée sur trois principes : la souveraineté, la liberté de choix des partenaires stratégiques parmi les puissances mondiales et la défense des intérêts vitaux des peuples africains. La souveraineté est impossible sans la sécurité de ceux qui décident. La reconquête des territoires des trois pays par leurs armées est donc une priorité cruciale. En même temps, la souveraineté signifie la responsabilité des dirigeants de chaque pays devant le seul souverain, le peuple.
La diversification du partenariat signifie que les pays ne lutteront pas contre le terrorisme en Afrique en coopération sur le terrain avec les puissances occidentales. C’est pourquoi l’Alliance entretient des relations profondes dans les domaines militaire, diplomatique et économique avec les plus grandes puissances du Sud global et du monde multipolaire. Il est clair que le destin de l’Alliance est de participer à la construction dynamique des BRICS pour éviter la suprématie du dollar et de l’euro.
Enfin, l’Alliance est pleinement engagée dans le dialogue interne entre les dirigeants et les peuples du Mali, du Burkina Faso et du Niger. C’est pourquoi l’Alliance s’autofinance et travaille avec acharnement pour assurer la coopération économique et culturelle, ainsi que l’intégration politique en tant que confédération d’États.
Lorsque la Cédéao a menacé d’intervenir au Niger pour défendre le contrôle français illégitime sur les ressources stratégiques d’uranium dans le pays, le Mali et le Burkina Faso se sont levés à l’unisson pour défendre leur voisin. Ils ont bien compris que les menaces qui pèsent sur le Niger sont les mêmes qu’auparavant, enracinées dans la traite des esclaves et dans l’agression colonialiste, ainsi que dans l’occupation néocolonialiste occidentale, et ce depuis plusieurs siècles maintenant. C’est cette mémoire profonde de la tragédie commune de l’histoire africaine qui cimente la nouvelle éclosion en Afrique de la conscience et de la justice.
La différence entre la Cédéao et l’Alliance des États du Sahel est évidente. Alors que la première a montré à maintes reprises sa dépendance face aux intérêts des puissances occidentales, la seconde œuvre ouvertement pour une Afrique souveraine et puissante, l’esprit libre, les mains libres, capable de façonner le renouveau de l’espoir chez toutes les nations africaines. En même temps, nous devons nous regarder dans notre propre miroir. La partie la plus difficile de la lutte africaine au XXIe siècle est de retrouver le génie africain à travers une mémoire critique de nous-mêmes, et de garder les yeux ouverts, avec beaucoup de lucidité, pour comprendre la réalité du jeu que mènent les puissances de ce monde.