«Opération Cyclone» fut une des plus longues et coûteuses opérations de la CIA. De 20 à 30 millions $ par an au début des années 80 pour culminer à 630 millions $ en 1987. Lancée par Brzezinski sous la présidence Carter, «Opération Cyclone» devint un projet central sous la présidence Reagan et continua jusqu’en 1992.
Ainsi, pendant de longues années, Washington finance des groupes terroristes. Dans quel but ? Renverser le gouvernement socialiste Taraki venu au pouvoir en Afghanistan. Pourtant, il fait du bon boulot : un Etat laïc est instauré, rompant avec le féodalisme et l’intolérance religieuse ; les femmes acquièrent l’égalité des droits, les mariages d’enfants et les dots féodales sont supprimés, les syndicats sont légalisés, on construit des routes, des centaines d’écoles et des hôpitaux. Le gouvernement lance un programme d’alphabétisation et aide les petits paysans.
Mais c’est insupportable pour Washington car l’Afghanistan est soutenu par l’Union soviétique. Problème : sortant d’une défaite honteuse au Vietnam (1961-1975), les Etats-Unis ne peuvent plus se permettre d’entrer eux-mêmes en guerre de façon ouverte. Alors, ils s’associent à l’Arabie saoudite et au Pakistan pour armer, entraîner et financer des terroristes : les moudjahidines. Trente-cinq mille combattants venus individuellement de quarante pays différents sont entraînés dans des camps de la CIA et du MI6 britannique au Pakistan. Parmi eux, un certain ben Laden joue un rôle de plus en plus important. C’est donc Washington et Riyad qui ont permis à ceux ce qu’on appellera plus tard, d’un nom impropre, «les islamistes» de devenir une force politique et militaire importante.
A l’époque, les moudjahidines afghans sont appelés «combattants de la liberté» par les Etats-Unis et les médias. Curieuse conception de la liberté et des droits de l’homme. «Une de leurs méthodes favorites est de torturer leurs victimes, de leur couper le nez et les oreilles, ainsi que les parties génitales, et ensuite d’enlever une fine couche de peau, l’une après l’autre pour provoquer une mort très lente. Malgré des rapports très documentés sur ces atrocités, le président US Ronald Reagan invita un de ces groupes à la Maison-Blanche en 1985 et les présenta ainsi aux médias : «Ces gentlemen sont les équivalents moraux des pères fondateurs de l’Amérique»*.
Du moment qu’ils étaient anticommunistes, Washington se fichait de savoir ce qu’ils faisaient sur le terrain. D’ailleurs, à la même époque, les Etats-Unis utilisaient des terroristes et des escadrons de la mort aussi en Amérique latine, notamment au Salvador.
Comme nous l’avons indiqué dans le livre ici mentionné, l’Opération ben Laden s’est prolongée dans d’autres pays. Washington a utilisé, plus ou moins discrètement, les mêmes terroristes comme armée de subtitution pour renverser ou tenter de renverser des gouvernements qui lui déplaisaient : Yougoslavie, Tchétchénie, Libye, Syrie et d’autres encore. La Syrie représente en fait une «Opération ben Laden bis».
Pourtant, en 1989, la première ministre du Pakistan, Benazir Bhutto, avait mis en garde George H.W. Bush (ex-directeur de la CIA) qui venait de succéder à Ronald Reagan : «Les extrémistes qui ont tant été encouragés par les Etats-Unis sont en train d’exporter leur terrorisme dans d’autres parties du monde. Vous êtes en train de créer un véritable Frankenstein.»** En 2007, Bhutto sera assassinée par Al-Qaïda qui revendiquera l’opération.
Le 11 septembre n’est donc pas tombé du ciel, c’est un enfant, non reconnu, de la CIA. Malgré cette catastrophe, les Etats-Unis ne renoncèrent pas à utiliser des terroristes, qu’ils envoyèrent en Syrie pour renverser Bachar. Avec des retombées un peu partout qu’on découvre à présent. Cette «Opération Cyclone» vient de frapper à Paris. Et demain ? A Bruxelles, à Londres, à Madrid ?
Aujourd’hui, à la télévision française ou belge, il n’y a plus aucun espace où on peut parler de ces choses-là, simplement sur base des propres documents des Etats-Unis. On n’a pas le droit de dire que Frankenstein a été créé par l’Occident. Et peu importe si, en ne s’attaquant pas aux causes profondes, on va permettre au terrorisme de frapper encore.
Pour s’informer et comprendre, il va falloir créer autre chose.
*Michel Collon, Je suis ou je ne suis pas Charlie ? Investig’Action, 2017, p. 39-41.
** "The Road to September 11". Evan Thomas. Newsweek. 1er octobre 2001. Mathieu Auzanneau, Or Noir, La Découverte, 2015, p. 467.