Le smartphone Mate 60 de Huawei, qui a récemment vu le jour sans campagne publicitaire ni préavis, a rencontré beaucoup d’enthousiasme. Le 30 août, Reuters a rapporté que les actions de l’entreprise avaient grimpé, sur fond de succès inattendu pour le modèle aux spécifications décrites comme très au-dessus des normes dans le domaine, permettant notamment les appels par satellite et des vitesses très élevées.
L’entreprise n’a toutefois pas commenté la fiche technique. Elle n’a pas précisé si le téléphone était compatible avec la 5G, bien que des utilisateurs aient confirmé qu’il l’était. Huawei s’est contenté d’indiquer avoir réalisé des percées dans le domaine des communications par satellite, ce qui a également été démontré. La question essentielle concerne pourtant les puces du téléphone. Après une vaste campagne de sanctions américaines ayant coupé l’accès de la Chine aux puces fabriquées à l’étranger, le gouvernement américain déclare désormais qu’il va se pencher sur la question clé : «Comment la Chine a-t-elle réussi à y arriver ?»
Le South China Morning Post, par exemple, s’est notamment intéressé à la dissimulation par Huawei de la puissance évidente de la puce du téléphone. Une théorie veut que la société chinoise Semiconductor International Manufacturing Corp (SMIC), qui s’est refusée à tout commentaire, ait fourni la technologie. Il semble que ce soit l’hypothèse la plus probable, ce qu’un démontage effectué par Bloomberg paraît confirmer.
Le site chinois de benchmark AnTuTu a effectué des tests qui suggèrent que l’unité centrale (CPU) du Mate 60 pourrait être le Kirin 9000 fabriqué en Chine, ce qui «marquerait une percée pour l’industrie chinoise des semi-conducteurs et une victoire majeure pour les activités de Huawei dans le domaine des puces pour smartphones».
Cette hypothèse paraît confirmée dans un rapport de Nikkei Asia de juillet dernier traitant du retour de Huawei sur le marché des téléphones 5G. Selon le titre de presse, SMIC fabriquerait une puce de 7 nanomètres pour Huawei. Cette puce est en retard de deux générations sur la technologie de pointe – Apple est sur le point de lancer un nouvel iPhone avec des puces de 3 nm – mais reste bien meilleure que celles auxquelles la Chine devrait théoriquement avoir accès sous le coup des sanctions américaines. Les restrictions imposées par Washington en matière d’accès à la technologie ont pour but de limiter l’industrie des puces de Pékin à des niveaux de 14 nm, soit environ huit ans de retard sur les dernières avancées.
Autre possibilité : Huawei aurait produit la puce grâce à sa propre chaîne d’approvisionnement. Un rapport de Bloomberg, qui cite l’Association de l’industrie des semi-conducteurs, suppose que Huawei aurait construit en secret un réseau indépendant de chaînes d’approvisionnement pour contourner les contrôles américains à l’exportation en recrutant les fonderies existantes. Cela signifierait que Huawei est finalement devenu indépendant et qu’il a su déjouer les sanctions américaines.
Le Mate 60 est sorti en pleine visite en Chine de la secrétaire américaine au Commerce Gina Raimondo, dont le bureau supervise la mise en œuvre des sanctions imposées aux industries chinoises de haute technologie. La concordance de ces événements constituerait un coup dur - tant substantiel que symbolique - pour les États-Unis, qui tentent d’étouffer unilatéralement la compétitivité mondiale de la Chine dans des domaines sensibles. Le journal chinois Global Times a notamment mentionné le sentiment des citoyens du net chinois de «s’élever sous la pression américaine».
«Les deux options font peur aux experts de Washington»
Enfin, il se pourrait que le nouveau téléphone utilise des stocks créés avant que les restrictions aient été imposées par les États-Unis, par exemple des puces fabriquées par Taiwan Semiconductor Manufacturing Co (TSMC) avant septembre 2020. Selon des rapports, Huawei avait stocké des puces avant l’entrée en vigueur des contrôles ; elle les reconditionne possiblement aujourd’hui en introduisant quelques modifications. Si cela est vrai, cela signifierait que Huawei demeure toujours sous le joug des sanctions américaines. Il s’agit par contre de l’explication la moins probable.
Alors que l’explication la plus probable semble être que soit la Chine a développé une technologie permettant de produire des puces avancées au niveau national, soit elle a trouvé des moyens de construire une chaîne d’approvisionnement en contournant les sanctions américaines – que ce soit l’une ou l’autre, ces explications représentent une énorme victoire pour l’industrie chinoise des télécommunications face à la pression injuste des États-Unis. Les deux options font peur aux experts de Washington. Il suffit de lire le dernier article du Washington Post selon lequel le Mate 60 «suscite l’inquiétude que la Chine ait trouvé un moyen de contourner les restrictions technologiques américaines». L’article cite des experts américains affirmant que la Chine reste toujours «dans le jeu» lorsqu’il s’agit de fournir des produits de qualité compatibles avec la 5G.
En 2021, Huawei a lancé son propre système d’exploitation HarmonyOS après qu’une décision du gouvernement américain a interdit à l’entreprise de travailler avec des sociétés américaines telles que Google, forçant ainsi les appareils Huawei à utiliser des versions pures d’Android sans aucune application Google. A l’époque, l’entreprise a su s’adapter en créant son propre système d’exploitation dans un domaine saturé à 99% par Android de Google et iOS d’Apple. Ce n’était pas une mince affaire et cela témoigne de l’ingéniosité chinoise, ainsi que du succès des politiques de réforme et d’ouverture de la Chine en général.
Toute personne attachée à un marché libre et ouvert devrait se réjouir du succès du Mate 60 de Huawei, compte tenu des obstacles sans précédent auxquels l’entreprise a dû faire face. Il serait difficile de parler d’une réussite exceptionnelle au regard du palmarès de l’entreprise, mais il s’agit néanmoins d’une histoire très inspirante.