L’agent de la NSA devenu lanceur d’alerte a rencontré l’humoriste John Oliver dans un hôtel de Moscou situé en face de l’ancien siège du KGB dans une pièce avec toutes les fenêtres couvertes.
Lors d’une interview exclusive diffusée pendant le talk-show «Last Week Tonight with John Oliver», Edward Snowden explique au présentateur du programme que «la NSA a des moyens de surveillance inimaginables jusqu'à présent» et qu’elle voudrait simplement que les citoyens «croient qu'elle ne les utilisera pas à mauvais escient contre les citoyens américains».
«Croyez-moi»
Le lanceur d’alerte admet lui-même que «dans certaines situations, c’est vrai. Mais le problème réel est qu’elle utilise ces moyens pour nous rendre vulnérables, elle dit "j’ai une arme pointée sur votre tempe mais je ne vais pas appuyer sur la détente, croyez-moi"».
«La ligne rouge à ne pas dépasser, pour les individus» a remarqué John Oliver, «est l'interception d'images indécentes envoyées de portables ou de boîtes e-mail».
Edward Snowden n'a pas approuvé le comportement des Américains qui ont adopté de nouvelles tehniques pour pouvoir échapper à la surveillance gouvernementale dans le partage d'images classées X, mais il a affirmé que personne ne devait contrôler le partage d’images personnelles. «Les mauvaises nouvelles sont que l’agence continue à collecter les informations de chacun», selon Snowden, «y compris vos images indécentes».
«On ne doit pas changer son comportement parce qu’une agence gouvernementale quelque part est engagée sur une mauvaise voie», a-t-il fait savoir. «Si nous sacrifions nos valeurs parce que nous avons peur, nous ne nous préoccupons plus de ces valeurs».
«Les données d’une conversation entièrement confidentielle entre vous et votre femme peuvent se promener à New York, puis à Londres, puis de nouveaux à New York... et rester indéfiniment dans une grande base de données», a averti le lanceur d’alerte.
John Oliver «horrifié» par ces nouvelles
PRISM, le programme de surveillance généralisé de la NSA révélé pour la première fois par Snowden en 2013, sert à «fouiller la poubelle de votre historique avec la complicité de Google», a-t-il expliqué, et la Section 215 du Patriot Act, le programme litigieux de collection de métadonnées, permet à l’agence de «dire avec qui vous partagez vos images indécentes».
Le présentateur a répondu qu’il était «horrifié» par ces nouvelles, mais Edward Snowden a dit qu’aucune raison ne devait exister pour que les Américains se censurent.
Même si John Oliver a admis que le Patriot Act «donne carte blanche» au gouvernement pour collecter des renseignements sur tout un chacun, l’humoriste a débattu avec Snowden sur le fait que l’Américain ordinaire ne s’intéresserait pas ou même ne comprendrait pas les complexités liées à la question de la surveillance.
Le présentateur a montré à Snowden un «micro-trottoir» sur Times Square à New York, où il a eu du mal à trouver un passant qui pouvait correctement identifier Snowden.
Glenn Greenwald, le journaliste du magazine en ligne The Intercept qui a travaillé avec Snowden sur le trésor caché de la NSA, a écrit lundi que «les réactions embrouillées de personnes interviewées dans Times Square, quand on leur a demandé qui était Snowden, est peu instructive sur la question de la surveillance mais en dit beaucoup sur le désengagement politique total d’une grande partie de la population américaine».
John Oliver a introduit son interview avec Snowden en rappelant que certaines dispositions du Patriot Act, en particulier celles qui fournissent la base légale des opérations de surveillance étendues de l’agence, expireront le 1er juin si le Congrès ne prolonge pas la législation.
Maintenant, après les révélations de Snowden et la violente réaction internationale qui a suivi, le Congrès est plus proche que jamais d’une mise au pas de la NSA.
«Il n’y a pas de doutes que c’est une conversation critique. Mais est-ce que c’est une conversation que nous sommes capables d’avoir ?», a demandé John Oliver. «Parce qu’elle est si compliquée que nous ne la comprenons pas fondamentalement».
«C’est un sujet ardu. C’est difficile pour une majorité de personnes d’essayer même de la conceptualiser. Le problème est qu’Internet est très complexe et que ce qui s’y passe est en grande partie invisible», a répondu Snowden.
«La question qui se pose est de savoir si ces programmes sont efficaces. Serons-nous plus en sécurité parce que nous espionnons le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et les avocats qui parlent du prix des crevettes grises et des cigarettes au clou de girofle?», a ironisé le lanceur d’alerte.
Mais selon John Oliver, les révélations concernant l’espionnage d'organisations internationales caritatives et d’avocats isolés ne présentent pas un grand intérêt pour les Américains.