La nouvelle ne figure pour l'heure pas à l'AFP et, dans les faits, est passée quasi inaperçue dans le paysage médiatique francophone : le président ukrainien Volodymyr Zelensky a signé le 26 mars une loi punissant la publication de certaines informations liées au conflit militaire qui se déroule actuellement dans son pays. En dépit de son faible écho médiatique en Occident, cette nouvelle législation inquiète des journalistes de terrain qui se trouvent actuellement en Ukraine.
Interdiction de publier de l'information non tamponnée par Kiev et ses partenaires ?
Selon une information publiée le 29 mars par le canal Telegram officiel de la Rada (le parlement ukrainien), la nouvelle législation en question s'inscrit dans le cadre de la loi martiale en vigueur en Ukraine. Comme on peut le lire sur le site de la Rada, elle prévoit notamment que la diffusion d'informations «sur les mouvements d’armes et de munitions» est désormais passible d’une peine de prison allant de trois à cinq ans si ces informations n'ont au préalable pas été «publiées en accès libre par l’état-major général de l’Ukraine ou par les institutions officielles des pays partenaires».
De la même façon, une peine de prison de cinq à huit ans est également prévue pour quiconque diffuserait «des informations sur les mouvements ou l’emplacement d'unités [militaires] ou d’autres groupes armés ukrainiens», encore une fois, si ces informations n’ont pas été publiées par l’état-major général.
«La loi prévoit une peine d’emprisonnement de 8 à 12 ans pour les actes susmentionnés commis par un groupe [de personnes] à la suite d’une entente préalable ou dans le but de transmettre des données à l’ennemi, ou encore si ces actes ont causé de graves conséquences», rapporte en outre RIA Novosti, citant toujours le texte.
Des journalistes restreints dans l'exercice de leurs fonctions
De son côté, le journal Libération (seul média français à avoir, à ce stade, publié une enquête sur cette loi), a rapporté un message émanant du gouverneur de la région de Lviv, à l'attention des «journalistes, blogueurs, militants civiques, ainsi que pour tous ceux qui aiment faire du buzz sur les réseaux sociaux sur des sujets brûlants».
L'autorité ukrainienne y préciserait le champ d'application de la loi en question. A part les informations déjà rendues publiques par les autorités, il serait donc désormais «strictement interdit» pour les journalistes de diffuser sur les réseaux sociaux des informations, photos ou vidéos sur «les roquettes qui volent ou frappent quelque part, [...] les noms des rues, arrêts de transport, magasins, usines où la situation s’est produite [ou encore] les lieux de bombardement et d’impacts de projectiles, les adresses, références visuelles ou coordonnées des batailles [...], le nombre de voitures, de véhicules blindés, les vainqueurs ou victimes».
Dans son article paru le 30 mars, Libération rapporte des témoignages de plusieurs journalistes de terrain préoccupés voire frustrés par cette législation. Un correspondant du journal aurait par exemple, au cours du week-end précédent, été «contraint par des agents en civil à supprimer des images prises avec son smartphone depuis une colline à un kilomètre d'[une] frappe [sur un] dépôt de carburant».
Egalement repérée par Libération, une pétition en ligne a été lancée le 28 mars par l'ONG ukrainienne Institut d’information de masse (IMI), qui appelle Kiev à «mettre fin au harcèlement des journalistes et à élaborer des règles de travail transparentes».
«Le problème principal est que personne ne comprend le rôle des journalistes dans un conflit [...], il y a une paranoïa autour de la question des espions, qui est encouragée par la télévision d’Etat, le président et l’armée [...]. Résultat : les policiers, les forces de défense territoriale, les civils qui portent des armes vont avoir tendance à faire du zèle pour montrer qu’ils font correctement leur travail de détection de saboteurs», a pour sa part commenté le directeur de l’agence de presse ukrainienne Zaborona, Roman Stepanovych, signataire de cette pétition et ici cité par Libération.