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Emeutes, couvre-feu, intervention des forces australiennes : que se passe-t-il aux îles Salomon ?

La capitale de cet archipel du Pacifique est en proie depuis plusieurs jours à des troubles déclenchés par des manifestants réclamant la démission du Premier ministre. En cause : des tensions économiques et ethniques, mais aussi géopolitiques.

Ce 26 novembre, la police des Iles Salomon a eu recours à des tirs de sommation pour disperser des manifestants qui tentaient d'atteindre la résidence privée du Premier ministre Manasseh Sogavare. Un petit nombre de policiers a réussi à disperser la foule qui avait mis le feu à au moins un bâtiment et à la repousser vers le centre de Honiara, la capitale de l'archipel. Celle-ci est en effet secouée depuis trois jours par de violentes émeutes, les manifestants réclamant la démission de Manasseh Sogavare.

La situation a conduit David Vunagi, le gouverneur général de ces îles du Pacifique, à décréter ce jour un couvre-feu nocturne de la capitale (de 19h à 6h) pour une durée indéterminée. Dans la journée, des milliers de personnes – certaines armées de haches et de couteaux – s'en sont pris au quartier chinois et au centre des affaires de la ville. Des bâtiments ont été incendiés et des magasins pillés au moment du déploiement par l'Australie d'une force de maintien de la paix.

Le Premier ministre salomonais dénonce l'ingérence de puissances étrangères

Les émeutes avaient débuté le 24 novembre quand des centaines de personnes ont manifesté pour réclamer la démission du Premier ministre avant de se rendre dans le quartier chinois de Honiara, une ville de 85 000 habitants. Ils ont ensuite brûlé un poste de police et pillé des commerces jusqu'à l'intervention des forces de l'ordre avec des gaz lacrymogène.

Malheureusement, c'est influencé et encouragé par d'autres puissances

Manasseh Sogavare a affirmé que des puissances étrangères opposées à la décision prise en 2019 par son gouvernement de ne plus reconnaître diplomatiquement Taïwan mais la Chine étaient à l'origine de ces troubles. «Malheureusement, c'est influencé et encouragé par d'autres puissances... Je ne veux pas citer de noms, nous en resterons là, nous savons qui ils sont», a déclaré Manasseh Sogavare à la télévision australienne. 

D'autres pointent du doigt les difficultés économiques aggravées par la pandémie de Covid-19 et la rivalité historique entre les habitants de l'île la plus peuplée du pays, Malaita, et celle de Guadalcanal, où est basé le gouvernement.

A la fin des années 1990, des violences ethniques avaient éclaté, une partie de la population autochtone de Guadalcanal s'en prenant aux habitants de Malaita venus s'établir sur leur île. Des troubles avaient secoué le pays pendant cinq ans. Une commission Vérité et Réconciliation avait été créée en 2009 pour apaiser ces violences ethniques qui ont duré de 1998 à 2003. Les «tensions» s'étaient apaisées avec le déploiement en 2003 de la Mission régionale d'assistance aux Iles Salomon (Ramsi), menée par l'Australie avec l'aide de la Nouvelle-Zélande et 13 autres pays du Forum des îles du Pacifique.

La Chine inquiète pour la sécurité de ses ressortissants

Dix-huit ans plus tard, les premiers membres de la force australienne de maintien de la paix ont été déployés dans la nuit du 25 au 26 novembre, quelques heures après l'appel à l'aide lancé par Manasseh Sogavare. La Papouasie-Nouvelle-Guinée voisine a quant à elle annoncé ce 26 novembre le déploiement de 34 soldats chargés du maintien de la paix. 

La ministre australienne de l'Intérieur Karen Andrews a tenu à souligner que l'actuel déploiement de la mission de maintien de la paix devrait durer «quelques semaines», contrairement à la précédente. «Notre premier objectif est de rétablir la loi et l'ordre public, ce n'est certainement pas d'intervenir dans les problèmes politiques qui se produisent en ce moment», a-t-elle déclaré.

La veille, en dépit de l'interdiction de sortir, des manifestants sont descendus dans la rue, pillant des commerces et courant à travers les rues, les bras chargés de caisses et de produits tandis qu'une épaisse fumée noire s'élevait au-dessus d'Honiara.

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois Zhao Lijian a fait part le 25 novembre de sa «grande préoccupation» pour les intérêts de son pays aux Salomon. Il a appelé le gouvernement à «prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des ressortissants chinois et entités chinoises». Le lendemain, Pékin a condamné des émeutes à l'origine «d'importants dégâts et pertes matérielles». «L'établissement de relations diplomatiques entre la Chine et les Iles Salomon est conforme à la tendance actuelle et constitue le bon choix qui permet de résister à l'épreuve de l'histoire», a par ailleurs estimé un porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Zhao Lijian. 

La plus grande îles des Salomon opposée à la reconnaissance de Pékin

Les habitants de l'île de Malaita ont le sentiment d'être abandonnés par le gouvernement central et les différends se sont intensifiés quand Manasseh Sogavare a reconnu diplomatiquement Pékin.

Les autorités de Malaita se sont en effet opposées à cette décision et ont continué à maintenir leurs relations avec Taïwan. En conséquence, la province continue de recevoir une aide considérable de Taipei et de Washington.

Le Premier ministre de cette province, Daniel Suidani, a accusé Guadalcanal – l'île de Manasseh Sogavare – d'être aux mains de Pékin, en affirmant que ce dernier fait passer les «intérêts des étrangers au-dessus de ceux des habitants des îles Salomon». «Les gens ne sont pas aveugles et ne veulent plus être trompés», a-t-il déclaré. 

Selon des experts, cette rivalité géopolitique n'est pas la seule cause des événements actuels mais elle y a contribué. «Les actions de ces grandes puissances, qui s'attirent les bonnes grâces d'acteurs politiques, ont un effet déstabilisant sur ce qui est déjà un pays fragile et vulnérable», a déclaré Mihai Sora, spécialiste du Pacifique au sein de l'Institut Lowy d'Australie. «Et puis bien sûr, le contexte contemporain est celui de difficultés économiques prolongées en raison des restrictions du Covid, de l'état d'urgence du Covid», a-t-il déclaré à l'AFP.

Jusqu'en 2019 et depuis 1983, les Iles Salomon entretenaient des liens diplomatiques avec Taïwan. Leur gouvernement a alors choisi de rompre avec le territoire pour reconnaître le pouvoir communiste de Pékin en tant que représentant légitime de la Chine. Le géant asiatique – qui considère Taïwan comme l'une de ses provinces bien qu'il ne contrôle pas l'île de 23 millions d'habitants – en fait un prérequis pour l'établissement de relations diplomatiques avec d'autres pays.