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Grave crise diplomatique entre des monarchies du Golfe et le Liban sur fond de tensions avec l'Iran

Une crise diplomatique a éclaté entre l'Arabie saoudite et le Liban à la suite de propos d'un ministre libanais sur la guerre au Yémen. Riyad a rappelé son ambassadeur à Beyrouth et a demandé à l'ambassadeur libanais de quitter son territoire.

Les Emirats arabes unis ont rappelé le 30 octobre leurs diplomates à Beyrouth, quatrième monarchie arabe du Golfe à prendre des mesures de rétorsion contre le Liban après des propos d'un ministre libanais critiquant l'intervention de l'Arabie saoudite dans la guerre au Yémen. Une crise qui va au-delà des propos du ministre et reflète une lutte d'influence entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite, dont le Liban paie le lourd tribut.

Dans une émission télévisée datant du 5 août et diffusée le 25 octobre, George Kordahi, qui n'était pas alors encore ministre, avait qualifié «d'absurde» l'intervention de la coalition militaire dirigée par Riyad dans la guerre au Yémen opposant depuis 2014 pouvoir et rebelles, affirmant que les insurgés se défendaient «face à une agression extérieure». Intervenant depuis 2015 au Yémen, cette coalition à laquelle participent aussi les Emirats arabes unis et le royaume de Bahreïn soutient le pouvoir face aux rebelles appuyés par l'Iran, qui a toujours démenti les accusations selon lesquelles il fournit des armes aux Houthis.

Le Premier ministre libanais Najib Mikati s'est démarqué des propos du ministre de l'Information George Kordahi, nommé au gouvernement par un parti chrétien allié au mouvement pro-iranien Hezbollah, poids lourd de la politique libanaise, et l'a appelé implicitement à démissionner.

Mais après l'Arabie saoudite, Bahreïn et le Koweït, les Emirats arabes unis ont donc annoncé le retrait de leurs diplomates du Liban en «solidarité» avec Riyad. Ils ont en outre interdit aux citoyens émiratis de se rendre au Liban. Le Koweït a le même jour annoncé le rappel de son ambassadeur du Liban et le départ du chargé d'affaires libanais sous 48 heures. Une décision expliquée par l'«échec» du gouvernement libanais à «répondre aux propos inacceptables et répréhensibles tenus contre l'Arabie saoudite et le reste des [six pays] du Conseil de coopération du Golfe» (CCG). Des centaines de milliers de Libanais travaillent dans les pays formant le CCG – Arabie saoudite, Emirats, Qatar, Bahreïn, Koweït et Oman.

Riyad s'inquiète de «la dominance du Hezbollah sur le système politique au Liban» 

Le Qatar a pour sa part condamné les propos «irresponsables» de George Kordahi, mais il n'a pas pris de mesures de rétorsion, appelant seulement le gouvernement libanais à agir «pour surmonter les dissensions entre frères». En brouille pendant trois ans, le Qatar et l'Arabie saoudite ont renoué au début de l'année. Riyad avait entre autres reproché à Doha de se rapprocher de l'Iran chiite, grand rival de l'Arabie saoudite sunnite. Et Oman a appelé les différentes parties à œuvrer «pour éviter l'escalade et régler les différends par le dialogue».

Chef de file du CCG, le royaume saoudien avait été le premier à rappeler le 29 octobre son ambassadeur au Liban et à décider l'expulsion de l'ambassadeur libanais. Il a également décidé d'arrêter toutes les importations libanaises. «Il n'y a pas de crise avec le Liban mais une crise au Liban en raison de l'hégémonie iranienne [...] La dominance du Hezbollah sur le système politique au Liban nous inquiète», a déclaré le 30 octobre le ministre saoudien des Affaires étrangères Fayçal ben Farhan à la chaîne de télévision Al-Arabiya. Bahreïn a également décidé d'expulser l'ambassadeur libanais.

Ces graves tensions surviennent alors que le gouvernement du Premier ministre libanais Najib Mikati misait sur une potentielle aide financière des riches monarchies du Golfe pour relancer l'économie du pays en plein effondrement. 

«Un rapport de force entre l'Iran, l'Arabie saoudite et le Liban»

«L'Arabie saoudite considère le Liban comme un pays vassal [...] Tout discours qui pourrait aller à l'encontre du discours officiel est aussitôt condamné», a analysé sur RT France Benoît Muracciole, président de l'association Action sécurité éthique républicaine (ASER). Le spécialiste de géopolitique a par ailleurs expliqué que les propos de George Kordahi ne relevaient pas tant d'une «dénonciation des crimes contre l'humanité dont est victime actuellement la population du Yémen», que d'«un rapport de force entre l'Iran, l'Arabie saoudite et le Liban», le ministre de l'Information étant un partisan du bloc chiite face aux pays sunnites.

Après le tollé, George Kordahi a souligné que ses propos reflétaient son opinion personnelle avant sa nomination comme ministre de l'Information, refusant de s'excuser. Najib Mikati a de son côté dit «regretter profondément» la décision de Riyad, et insisté sur le fait que les propos de George Kordahi «ne reflétaient en aucun cas la position du gouvernement». Mais le Hezbollah, allié indéfectible de l'Iran, a pour sa part fait savoir qu'il s'opposait à toute démission.

Le président libanais Michel Aoun, un allié du Hezbollah, s'est quant à lui dit «soucieux d'avoir les meilleures relations avec l'Arabie saoudite sœur», critiquant ceux «qui provoquent des crises entre les deux pays». Après la réunion à Beyrouth d'une cellule de crise formée par Najib Mikati en présence du numéro deux de l'ambassade américaine, Richard Michaels, le ministre de l'Education Abbas Halabi a déclaré avoir «bon espoir» de régler la crise avec les monarchies du Golfe.