Manifestations anti-gouvernementales et rassemblements de soutien à la révolution se sont succédés le 11 juillet à Cuba. A La Havane comme à Santiago de Cuba, des protestataires ont ainsi dénoncé les pénuries de nourriture, de médicaments et de matériel vaccinal, sur l'île qui depuis des décennies doit subir les conséquences d'un embargo économique imposé par son voisin étasunien. Certains demandaient également la fin du système communiste, lors de ces manifestations que l'exécutif estime minées par les Etats-Unis.
Prenant la parole après les premiers rassemblements, le président Miguel Diaz-Canel a reconnu l'existence d'une «insatisfaction» liée la crise économique, comprenant que «les manifestations impliquent de nombreux citoyens révolutionnaires qui veulent une explication sur la situation actuelle dans le pays». Dans un discours télévisé, après une visite à San Antonio de los Baños – où le premier rassemblement a été signalé –, il a aussi pointé un mouvement «contaminé par des groupes d'opportunistes qui profitent de la crise actuelle pour saper l'ordre et générer le chaos».
Le président, qui a succédé en 2018 à Raul Castro, a demandé aux «citoyens révolutionnaires [...] de combattre», les appelant à «sortir dans les rues où vont se produire ces provocations, dès maintenant et dans les prochains jours». Miguel Diaz-Canel a également accusé Washington d'être à la manœuvre : «Il y a un groupe de personnes, contre-révolutionnaires, mercenaires, payées par le gouvernement américain, de façon indirecte à travers des agences du gouvernement américain, pour organiser ce genre de manifestations», a-t-il affirmé.
«La révolution cubaine, nous la défendrons coûte que coûte», a écrit sur Twitter le vice-ministre des Affaires étrangères Gerardo Peñalver, en commentaire d'une vidéo de partisans communistes brandissant des drapeaux cubains.
Manifestations pro et anti-gouvernement
Le 11 juillet, de nombreuses vidéos sur les réseaux ont montré quelques milliers de manifestants défilant dans plusieurs villes cubaines et scandant des slogans tels que «Nous n'avons pas peur», «liberté » et «Cuba n'est pas à vous», notamment devant les bureaux du Parti communiste dans la capitale.
Des échauffourées ont éclaté, comme à La Havane. Des voitures de police ont été la cible de jets de pierre et plusieurs d'entre elles ont été renversées par les manifestants. L'AFP affirme que les forces de l'ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes pour les disperser et auraient tiré en l'air avec leurs armes. Une vingtaine d'arrestations ont eu lieu selon Reuters.
A La Havane toujours, une contre-manifestation a eu lieu en soutien au gouvernement, comme l'a constaté un photographe de Reuters. «Le peuple se mobilise contre la campagne impérialiste contre Cuba», a ainsi tweeté le ministre des Affaires étrangères Bruno Rodriguez Parrilla.
Le slogan «Viva Fidel» a ainsi résonné dans les rues de la capitale.
Les Etats-Unis s'empressent de soutenir les manifestants
Pourtant moins prompt à réprouver l'usage de la force dans d'autres pays du continent, le gouvernement américain a réagi le jour-même. Dans un communiqué diffusé par la Maison Blanche, Joe Biden a appelé les autorités cubaines «à entendre son peuple et à répondre à ses besoins». «Nous nous tenons aux côtés du peuple cubain et de son appel vibrant à la liberté», a-t-il en outre affirmé.
Plus tôt sur Twitter, le conseiller américain à la Sécurité nationale Jake Sullivan avait déclaré que l'administration Biden «condamnerait fermement tout acte de violence ou qui viserait à prendre pour cible les manifestants pacifiques qui exercent leurs droits universels».
Julie Chung, secrétaire d'Etat adjointe des Etats-Unis pour les Amériques, a appelé sur Twitter «au calme», se disant inquiète «par les "appels au combat" à Cuba» et affichant son «soutien au droit du peuple cubain à se rassembler pacifiquement». «La dictature doit comprendre que nous ne tolèrerons pas l'usage de la force brutale pour taire les aspirations du peuple cubain», a aussi déclaré dans un communiqué le sénateur démocrate américain Bob Menendez, à la tête de la commission des Affaires étrangères. Kevin McCarthy, chef de l'opposition républicaine à la Chambre des représentants, s'est dit sur Twitter «fier d'être solidaire du peuple cubain qui réclame la liberté».
De son côté, le ministère russe des Affaires étrangères a fait savoir dans un communiqué : «Nous considérons comme inacceptable toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures d'un État souverain et toute autre action destructrice qui favoriserait la déstabilisation de la situation sur l'île.»
«Si vous voulez que le peuple aille mieux, levez d'abord l'embargo»
Le PIB de Cuba a reculé de 10,9% en 2020, conséquence de l'embargo étasunien qui étrangle son économie, mais également de la pandémie de Covid-19 et de son impact sur le tourisme, une source majeure de revenus pour l'économie cubaine.
Depuis 1962 et les nationalisations qui se sont traduites par l'expropriation de grandes compagnies américaines, Cuba est frappé de plein fouet par un embargo qui a coûté à l'île plus de 130 milliards de dollars, selon des données de l'ONU.
Ce que les Cubains appellent bloqueo («blocus en français») revêt également un caractère «extra-territorial», qui sanctionne les compagnies, même non-américaines, souhaitant faire des affaires avec Cuba, dès lors que les opérations se font en dollars.
Maintenu en place par 12 présidents américains successifs malgré des variations d'intensité, l'embargo est condamné par l'écrasante majorité de l'Assemblée générale de l'ONU, à l'exception des Etats-Unis et d'Israël. Il se traduit dans la vie quotidienne, entre autres, par des pénuries de produits de première nécessité, comme par exemple nourriture, carburant, ou matériel médical.
Ce 11 juillet, Miguel Diaz-Canel n'a pas manqué de souligner l'hypocrisie, selon lui, de la position nord-américaine, adressant un conseil à Washington : «Si vous voulez que le peuple aille mieux, levez d'abord l'embargo.»