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Etats-Unis : quatre fois plus de suicides chez les soldats et vétérans que de morts au combat

Aux Etats-Unis, le nombre de suicides augmenterait de façon plus rapide chez les soldats en activité et les vétérans de la période post-11 Septembre, que pour l'ensemble de la population du pays. Le phénomène fait l'objet d'un rapport explosif.

Selon une étude publiée le 21 juin par le Watson Institute for International and Public Affairs – un centre de recherche qui dépend de la très réputée Brown University, située dans l'Etat de Rhode Island –, le nombre de suicides chez les militaires américains en activité et les vétérans des guerres de l'après-11 Septembre, atteignent de nouveaux sommets et, de façon inédite, l'évolution du phénomène serait plus rapide pour cette catégorie de profils que pour l'ensemble de la population américaine. L'institut décrit une tendance «profondément alarmante» puisque les taux de suicide au sein de la composante active de l'armée étaient jusqu'alors traditionnellement plus faibles que ceux qui sont constatés chez la population civile.

Quatre fois plus de suicides dans l'armée américaine que de morts au combat

«Depuis 2012, les taux de suicide chez les militaires en service et les vétérans ont dépassé ceux des décès au combat dans les conflits post-11 Septembre. Il y a au moins quatre fois plus de personnel en service actif et de vétérans de ces conflits qui sont morts par suicide que lors de combats. On estime en effet que 30 177 personnes sont mortes par suicide, contre 7 057 tuées lors des opérations de guerre de l'après-11 Septembre», explique l'institut dans une présentation de son rapport. Celui-ci pointe «l'échec» de la société américaine et de l'armée à gérer le coût de la santé mentale de ses effectifs pour les conflits dans lesquels sont actuellement impliqués les Etats-Unis. 

Sur un graphique présenté dans l'étude en question, on peut constater que le nombre de morts de soldats américains en terrain hostile baisse considérablement depuis la fin de l'année 2012 après plusieurs pics constatés (2003, 2007, 2010), contrairement à l'évolution du nombre de suicides, qui lui, suit une courbe légèrement ascendante.

Guerres longues et redéploiements des blessés

S'il pointe de multiples facteurs «évidents» qui participent aux suicides au sein de l'armée, comme «la forte exposition [de ces profils] aux traumatismes mentaux et physiques», l'institut met aussi en avant le développement de phénomènes propres aux guerres de l'après-11 Septembre. «Nous avons assisté à une augmentation considérable
des engins explosifs improvisés dans les guerres, augmentant considérablement le nombre de traumatismes cérébraux et de polytraumatismes chez les membres des forces armées», expliquent par exemple les auteurs de l'étude.

Celle-ci mentionne en outre la durée accrue de certains conflits et souligne que les progrès en matière de soins médicaux ont rendu possible le fait de redéployer des militaires sur le terrain après un traumatisme physique grave. «Depuis le 11 septembre, les militaires survivent à des blessures graves dans 87 % des cas [et] au moins un tiers d'entre eux sont redéployés en terrain hostile au moins une fois, si ce n'est plus», souligne l'institut qui rappelle par exemple que les vétérans souffrant d'une douleur grave et prolongée après un traumatisme physique sont 33% plus susceptibles de tenter de mettre fin à leurs jours que ceux qui n'ont aucune douleur ou qui souffrent d'une douleur légère ou modérée.

Psychologie et opinion publique

Sur le volet psychologique, le rapport met en lumière le poids de certains principes idéologiques très présents au sein de l'armée, sans que l'institution ne parvienne à en contrôler tous les effets. A cet égard, l'institut évoque par exemple la culpabilisation des effectifs qui sont susceptibles d'être punis pour leurs actions et leurs conséquences.

L'institut s'est également intéressé au possible rôle de l'opinion publique concernant les conflits armés impliquant les Etats-Unis au cours des deux dernières décennies.

«Tout comme pour la guerre du Vietnam, l'approbation du public pour les opérations de combat en Irak a diminué au cours des 20 dernières années, passant de 71 % en 2003 à 43 % en 2018», peut-on lire dans le rapport qui explique par ailleurs que plus de la moitié des citoyens américains, et près de 60 pour cent des vétérans, «ne pensent pas que les Etats-Unis aient des objectifs stratégiques clairs en Afghanistan», bien que ce pays ait constitué un théâtre majeur d'opérations pour l'armée américaine dans le cadre de «la guerre contre le terrorisme». 

Le rapport soulève aussi le fait que les vétérans de l'après-11 Septembre sont confrontés à «un public de plus en plus désintéressé, voire ignorant». Citant un sondage réalisé en 2018, l'institut relève en effet qu'environ 42 % des électeurs américains n'étaient cette année pas au courant des conflits en cours au Moyen-Orient ou étaient convaincus que la guerre contre le terrorisme était terminée. «Se sentir à la fois à l'écart de la société et un fardeau pour elle peut déclencher l'apparition de comportements suicidaires», expliquent les auteurs de l'étude.

Délits sexuels dans l'armée américaine

Après s'être penchés sur le poids des comportements à risque, comme la consommation de drogue et d'alcool, dans les statistiques de suicides au sein de l'armée, les auteurs du rapport s'intéressent aussi et surtout au phénomène des agressions et harcèlement sexuels dans l'institution.

Loin du théâtre des conflits, les militaires sont parfois amenés à être traumatisés sans avoir été envoyés sur le terrain. «La menace ou l'expérience répétée de violence sexuelle, de harcèlement ou d'agression au sein de l'armée constitue un traumatisme sexuel militaire (TSM), qui touche plus de 23% des femmes dans l'armée», peut-on lire dans le rapport qui précise qu'une partie des sévices sexuels ne sera probablement jamais signalée. En plus des agressions sexuelles, le harcèlement sexuel touche aussi à la fois les militaires femmes (55%) et hommes (38%), ajoutent les auteurs. L'institut fait en outre le lien entre la contraction d'une maladie sexuellement transmissible (MST) dans le cadre d'agressions, et la probabilité de rencontrer un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Les femmes vétérans qui ont ainsi contracté une MST sont «cinq fois plus susceptibles de développer un SSPT», peut-on par exemple lire dans l'étude.

Au fil de ses 35 pages, le rapport revient sur d'autres facteurs comme la facilité pour les militaires d'accéder à une arme leur permettant de mettre fin à leurs jours ou encore les multiples difficultés qu'ils rencontrent lorsqu'ils tentent de retrouver «une vie normale». Mentionnant les efforts déjà déployés pour faire face à l'évolution des suicides dans l'armée, les auteurs de l'étude sont formels : «A moins que le gouvernement et la société américaine ne modifient significativement la façon de gérer la crise de la santé mentale chez nos militaires et nos vétérans, les taux de suicide continueront à augmenter. C'est un coût de la guerre que nous ne pouvons accepter.»