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Algérie : qu'attendre des législatives anticipées boycottées par une partie de l'opposition ?

Alors que les élections législatives anticipées doivent renouveler l'Assemblée populaire nationale ce 12 juin, plusieurs figures critiques du pouvoir algérien ont été arrêtées et une partie de l'opposition appelle au boycott du scrutin.

Les élections législatives anticipées se tiennent le 12 juin en Algérie où 24 millions de citoyens sont appelés à élire les 407 députés de l'Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement) pour un mandat de cinq ans. Plus de 13 000 candidats se présentent sur près de 1 500 listes, dont plus de la moitié s'affichent comme «indépendantes».

C'est la première fois qu'un nombre aussi élevé d'indépendants se présentent face aux candidats des partis politiques traditionnels, dont l'image est compromise par la crise politique et socio-économique qui ébranle l'Algérie depuis 30 mois. Ces nouveaux venus, à l'affiliation floue, pourraient s'imposer comme une nouvelle force avec l'aval du pouvoir, qui a fait appel aux «jeunes» et encouragé leurs candidatures.

L'enjeu du taux de participation sera déterminant pour asseoir la légitimité du gouvernement après les précédentes consultations électorales (présidentielle de 2019 et référendum constitutionnel de 2020), marquées par une forte abstention (60% et 76% respectivement). Le mouvement contestataire du Hirak, qui peine à obtenir une représentation, et une partie de l'opposition ont appelé au boycott du scrutin.

Ce que j'observe à travers tout le pays ne dit pas que les Algériens, dans leur majorité, sont opposés aux élections législatives

Dans un grand entretien accordé à l'hebdomadaire français Le Point et publié le 2 juin, le président algérien a commenté cet appel au boycott. «Ce que j'observe à travers tout le pays ne dit pas que les Algériens, dans leur majorité, sont opposés aux élections législatives», a affirmé Abdelmadjid Tebboune. Selon le chef d'Etat, l'appel au boycott n'émane pas d'«une bonne partie de l'opposition» mais d'une «minorité qui se présente comme une majorité grâce à une médiatisation à outrance, notamment outre-mer». «Certains ambassadeurs, malheureusement, ne voient que cette minorité et ne vivent qu'avec elle, et ignorent la majorité des Algériens, induisant en erreur les pays auxquels ils appartiennent», a estimé le Abdelmadjid Tebboune. Il assure pour sa part qu'il y a un «engouement pour ces législatives, notamment chez les jeunes».

Si certains pronostiquent la «fin de la mainmise du duo FLN-RND [les partis au pouvoir] sur l'APN», comme s'interrogeait le 9 juin le quotidien francophone El Watan, il faut aussi s'attendre à l'élection de membres de la mouvance islamiste légaliste qui a décidé de prendre part au scrutin afin de «contribuer au changement souhaité».

Ainsi, Abderrazak Makri, le président du Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), proche des Frères musulmans, s'est dit «prêt à gouverner» en cas de victoire. Certains analystes prédisent une majorité relative pour les partis islamistes modérés dans la nouvelle assemblée. Le président Abdelmadjid Tebboune semble prêt à composer avec cette mouvance : «Cet islam politique-là ne me gêne pas parce qu'il n’est pas au-dessus des lois de la République», a-t-il confié au Point tout en promettant que l'islamisme «en tant qu'idéologie, celle qui a tenté de s'imposer au début des années 1990 dans notre pays, n'existera plus jamais en Algérie».

Arrestations d'opposants à la veille du scrutin

A la veille de ces élections, Alger était bouclée ce vendredi 11 juin, jour de marche hebdomadaire du Hirak, au lendemain de l'arrestation de figures du mouvement contestataire. Selon Saïd Salhi, vice-président de la Ligue pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), les forces de sécurité ont procédé à sept arrestations et gardes à vue le 10 juin au soir : cinq à Alger, une à Sétif (nord-est) et une à Oran (nord-ouest). «Nous ignorons les motifs de ces arrestations», a déclaré Saïd Salhi à l'AFP. 

Parmi les personnes interpellées à Alger par des agents de la Direction de la sécurité intérieure (DSI), figurent l'opposant Karim Tabbou, Ihsane El Kadi, directeur d'une station de radio proche du Hirak, et le journaliste indépendant Khaled Drareni.

Autre figure arrêtée, le journaliste Khaled Drareni se trouvait ce 11 juin au centre Antar, une caserne de la périphérie d'Alger connue pour être un lieu d'interrogatoire des services de sécurité. Condamné à une lourde peine de prison après avoir couvert une manifestation du Hirak (qu'il soutient ouvertement) en mars 2020 à Alger, mais remis en liberté provisoire en février dernier, Khaled Drareni est en attente d'un nouveau procès. Directeur du site d'information Casbah Tribune et correspondant en Algérie pour la chaîne francophone TV5 Monde et pour Reporters sans frontières (RSF), il a été condamné à deux ans de prison ferme pour «incitation à attroupement non armé» et «atteinte à l'unité nationale».

Le Journal officiel a en outre publié le 10 juin une ordonnance présidentielle qui modifie le code pénal en redéfinissant les actes terroristes et en établissant une liste nationale de «personnes et entités terroristes», qui pourrait, selon les détracteurs du pouvoir, servir à emprisonner de nombreux opposants, militants ou journalistes. 

Au moins 222 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD).