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Presque 7 000 détenus sans registres ni avocats à Chicago, quand la police se la joue CIA

Les forces de l’ordre de la troisième ville américaine ont détenu des milliers d’individus dans un entrepôt de la ville, sans enregistrements la plupart du temps et cela dure depuis des années.

C’est une histoire à peine croyable. «Homan Square». Un établissement secret de la police de Chicago qui a vu passé ces dernières années environ 7 000 personnes. Presque autant de fantômes pour les registres. Seuls 68 détenus ont eu accès à un avocat ou simplement eu droit à une détention fichée dans les règles.

Selon les forces de l’ordre, ce n'est qu’un poste destiné à lutter contre le trafic de drogue. D’ailleurs, pour le maire, «la police a suivi toutes les règles». De l’autre côté, détenus et avocats dépeignent un tout autre tableau : «Si cela peut arriver à quelqu’un, cela peut arriver à n’importe qui.»

Difficile de se défendre sans avocat

Une des «victimes», un trentenaire nommé José, est un des rares a avoir été assisté d’un avocat lorsqu’il s’est rendu à la police. Il rapporte que les policiers l’ont interrogé alors que son conseil avait spécifiquement demandé à ce que son client garde le silence. A le croire, à Homan Square, les policiers ne jouent pas «selon les règles».

Le Guardian a pu mettre la main sur certaines données. Selon elles, seuls 0,94% des 7 185 détenus passés par l’entrepôt ont eu accès à un avocat.

«Plus rien ne m'émeut dans mon job. Meurtres de bébés, agressions sexuelles, j’ai tout connu. Mais cet endroit est effrayant. Il ne ressemble aucunement à un poste de police. Il sort tout droit d’un film de James Bond» raconte David Gaeger, avocat d’un homme arrêté en 2011 pour possession de marijuana et conduit à Homan Square.  

«Essayez de trouver un numéro de téléphone afin de joindre quelqu’un. Vous pouvez toujours essayez». L’avocat s’avoue démuni lorsqu’il s’agit d’un client détenu à Homan Square : «Vous ne pouvez pas faire grand chose. Et tout est gardé comme une base militaire.»

«Cet entrepôt de briques rouges, situé entre les deux zones les plus criminelles de la ville, équipé de projecteurs, caméras et barbelés, cette structure quasi militaire que nous avons créé, je dois dire que maintenant, les gens qui vivent à côté, savent à quoi elle sert» poursuit-il.  

Des «disparus»

Les méthodes des policiers ont de quoi interroger. Une personne placée dans cet entrepôt semble sortir des radars. «La réalité c’est que personne ne sait quand quelqu’un est enfermé là-bas, il disparaît» souligne Craig Futterman, professeur à l’Université de Chicago et spécialiste de la question policière.

Les forces de l’ordre tentent tant bien que mal de se défendre. En février, elles déclaraient : «Si un avocat a un client détenu à Homan Square, comme dans n’importe quel autre établissement, il a le droit de le voir.»

Pourtant, plusieurs personnes ont déclaré que les agents les ont enfermé durant des heures voir des jours, certaines sous une pression constante, sans qu’on leur accorde le moindre coup de téléphone à un proche ou un homme de loi.

Des propos qui vont totalement à l’encontre des règles. Les policiers sont censés compléter un registre, autoriser les personnes sous leur garde à passer un nombre raisonnable d’appels téléphoniques à un proche, ami ou avocat. Habituellement, lors de la première heure de détention.

Une disparité raciale impressionnante

Autre point important, 82,2% des détenus qui sont passés par Homan Square sont noirs. Plus de deux fois la proportion de cette minorité à Chicago (32,9%). 11,8% étaient hispaniques et seuls 5,5% étaient blancs…

Il reste beaucoup à apprendre d’Homan Square. La police de Chicago n’a communiqué aucune information sur les individus de passage qui n’ont pas été condamnés. Pas plus que les données concernant les détentions datant d’avant septembre 2004. Elle argue que ces dernières sont trop onéreuses à produire n’étant pas informatisées. La ville est propriétaire de l’entrepôt depuis 1995.

Craig Futterman fait l’analyse suivante : «Il est difficile de croire que 7 185 arrestations, qui aient conduit à Homan Square, soit un chiffre précis. S’il est vrai que l’on a donné accès à un avocat à moins d’un pourcent des détenus, cela serait scandaleux.»

Homan Square n’a toujours pas été fermé.