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Des organismes liés à Reuters et la BBC impliqués dans un programme antirusse du Royaume-Uni ?

D'après des documents fuités, la Fondation Thomson Reuters et l'organisation BBC Media Action auraient collaboré avec le gouvernement britannique pour contenir l'influence de la Russie via des programmes confidentiels. Moscou exige des explications.

D’après des documents mis en ligne par un collectif se revendiquant d'Anonymous, mouvement «hacktiviste»  très présent sur la toile, et compilés le 20 février par le site d’investigation The Grayzone, le ministère des Affaires étrangères britannique aurait eu recours à divers acteurs, dont des médias et des sociétés philanthropiques liées à des organes de presse, dans le but de contrer l’influence de la Russie.

Médias, philanthropie et... ambassade britannique

En particulier, la Fondation Thomson Reuters (structure philanthropique du groupe de médias Thomson Reuters détenteur de l'agence de presse du même nom) et la BBC Media Action (organisation caritative de la BBC) auraient pris part à des programmes d’influence confidentiels, conduits sous la supervision du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth (Foreign and Commonwealth Office : FCO).

Le site d'investigation fondé par le journaliste Max Blumenthal évoque, parmi plusieurs initiatives d'influence impliquant divers acteurs, des programmes de formation destinés aux journalistes russes et supervisés par la Fondation Thomson Reuters. Leur but ? Produire, selon les termes employés dans les documents fuités, un «changement d'attitude chez les participants» et favoriser un «impact positif» sur leur «perception du Royaume-Uni». Le tout afin de «contrer le narratif du gouvernement russe [dans le domaine] des médias et de l'espace informationnel» et «en consultation avec l'ambassade britannique à Moscou».

Si RT France n'a pas été en mesure de vérifier l'authenticité des nombreux documents fuités, les principaux intéressés contactés ne les ont pas démentis, évoquant même des «documents volés» dans le cas de la BBC Media Action.

Comme le rapporte The Grayzone, cette «guerre de l'information» se déroulerait notamment dans le cadre d’un programme du ministère des Affaires étrangères, connu sous le nom de «Contre-désinformation et développement des médias» (Counter Disinformation and Media Development : CDMD). C'est dans le cadre de ce programme que les autorités britanniques auraient mis en place une entité sobrement baptisée «le Consortium», dans laquelle médias et responsables gouvernementaux se seraient côtoyés. 

Contrer le narratif russe et promouvoir celui de l'OTAN

C'est également dans ce contexte que la Fondation Thomson Reuters et la BBC Media Action auraient proposé des contrats de plusieurs millions de dollars aux autorités britanniques afin de former des journalistes russes par le biais de tournées ou de formations financées par la FCO, et en ligne avec son agenda politique : contrer l'influence russe et promouvoir un narratif pro-OTAN dans les régions russophones. Dans plusieurs propositions faites au ministère britannique des Affaires étrangères, la fondation caritative de Reuters se vanterait notamment d'un réseau d'influence mondial de 15 000 journalistes et employés, dont 400 en Russie.

Contactée par RT France, la Fondation se présente pourtant comme «une entité légale distincte de Thomson Reuters et [de l'agence de presse] Reuters» et assure n'entretenir aucun lien éditorial avec ces deux sociétés. Quant à ses financements (dont une partie provient de «dons» du groupe Thomson Reuters), la fondation précise dans son communiqué qu'ils sont «divers» et incluent «des sociétés, des gouvernements et des fondations». Sans démentir l'authenticité des documents, l'organisation philanthropique précise encore : «Nous faisons souvent des appels d'offres pour des fonds publics, seul ou dans le cadre d'un consortium [...] ces financements soutiennent notre travail indépendant de formation des journalistes.»

Egalement jointe par RT France, la BBC Media Action fait elle aussi valoir son statut «indépendant», et dénonce des «allégations fausses et non-vérifiées basées sur des documents volés», dont elle ne dément pas non plus l'authenticité. Soulignant qu'elle ne «travaille pas en Russie», l'organisation précise reposer «sur le soutien de donateurs, incluant le Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth».

Toujours d'après The Grayzone, le consortium d'entreprises mis en place par l'Etat britannique avait pour mission de mettre en lumière des médias prétendument indépendants tels que Meduza, média russophone très populaire au sein de l'opposition, ou encore Mediazona, fondé par le groupe de rock féministe Pussy Riot. Autre objectif affiché dans l'un des documents fuités : apprendre aux «organes médiatiques hyper-locaux» à améliorer, avec un budget dédié, leur référencement sur internet «pour fournir des sources d'information alternatives à RT.com pour le public russophone recherchant des "actualités en russe"».

Le média britannique Bellingcat, déjà épinglé par le passé pour ses liens avec les réseaux atlantistes et le gouvernement du Royaume-Uni, aurait lui aussi pris part au programme des autorités. Toujours selon les documents fuités, Bellingcat, qui s'inquiète pourtant de «l'ingérence russe en Macédoine du Nord», aurait ainsi participé à la formation de journalistes macédoniens, notamment avec le concours du DFR Lab, programme de l'Atlantic Council. Sollicité par RT France, Bellingcat n'avait pas donné suite au moment de la publication de cet article.

Moscou dénonce une «machine de propagande»

Ces révélations ont fait grincer des dents du côté de Moscou, alors que la Russie se voit elle-même régulièrement accusée par ses adversaires d'avoir recours à de la «propagande». 

«Selon les documents du Foreign Office qui ont fuité sur Internet, le gouvernement britannique soutient financièrement via des intermédiaires et gère directement le fonctionnement de diverses agences d'information. Il aurait également mis en place un réseau d'agents d'influence dans le segment russophone des réseaux sociaux», a ainsi résumé, le 20 février sur Facebook, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Maria Zakharova.

Dénonçant la «machine de propagande de Londres» tout en déclarant attendre la réaction des autorités britanniques, Maria Zakharova a poursuivi : «Il faudra tout de même se prononcer là-dessus car des millions de livres ont été gaspillées pour le financement de ces campagnes d'information secrètes.»

Ce "deux poids, deux mesures" ne fait que discréditer davantage les politiciens de l'establishment

«Les agents britanniques utilisaient la BBC et Reuters pour déployer exactement les mêmes tactiques que les politiciens et les commentateurs médiatiques accusaient la Russie d'utiliser», a pour sa part fait remarquer le parlementaire indépendant Chris Williamson, contacté par Grayzone.

L'ancien député travailliste a notamment témoigné : «Lorsque j'ai essayé d'approfondir [les activités secrètes du CDMD], les ministres ont refusé de me laisser accéder à tout document ou correspondance relatif aux activités de cette organisation. On m'a dit que la divulgation de cette information pourrait "perturber et saper l'efficacité du programme".» Toutes ses demandes d'information avaient été rejetées par des raisons liées à la sécurité nationale. «La BBC et Reuters se décrivent comme une source irréprochable, impartiale et faisant autorité d'informations mondiales mais les deux sont maintenant extrêmement compromis par ces révélations. Ce "deux poids, deux mesures" ne fait que discréditer davantage les politiciens de l'establishment», a-t-il ajouté.