Le 28 janvier, une foule en colère s'est rassemblée à Tripoli devant les résidences de personnalités politiques influentes du Liban, incendiant des bennes à ordures et brisant des caméras de surveillance, en ce quatrième jour d'émeutes contre la gestion de la pandémie de coronavirus.
Les manifestants ont jeté en fin de journée des cocktails molotov dans les locaux de la mairie de la ville, provoquant un violent incendie, selon l'agence de presse nationale. «Nous voulons incendier leur maison comme ils nous ont brûlé le cœur», a confié à l'AFP Omar Qarhani, père de six enfants. «Ils ont fait honte à cette ville», ajoute ce chômeur de 42 ans, en référence aux dirigeants politiques.
Pour les manifestants, les confinements à répétition – notamment celui en vigueur depuis le 14 janvier, l'un des plus stricts du monde – ont été le coup de grâce, dans un pays qui connaît sa pire crise économique depuis la fin de la guerre civile (1975-1990), aggravée par la pandémie et ayant fait basculer des segments entiers de la population sous le seuil de pauvreté.
Tripoli, deuxième ville du Liban et l'une des plus pauvres du pays, est ainsi le théâtre depuis le 25 janvier de violents affrontements nocturnes entre les forces de sécurité et des manifestants excédés par les restrictions sanitaires et une crise économique qui ne cesse de s'approfondir. Avec plus de la moitié de ses habitants vivant sous le seuil de pauvreté, la grande ville du Nord a été l'un des épicentres du mouvement de contestation sans précédent enclenché en octobre 2019 à travers le pays contre une classe dirigeante accusée de corruption et d'incompétence. «Que n'importe quel politicien ose marcher dans les rues de Tripoli !», lance avec défi Omar Qarhani au milieu d'une centaine de manifestants rassemblés devant la maison d'un responsable politique de la ville de trois millions d'habitants.
Après trois soirées de violents heurts ayant fait un mort et plus de 300 blessés, une centaine de personnes ont de nouveau battu le pavé le 28 janvier, s'arrêtant successivement devant différentes résidences de responsables politiques originaires de la ville et tentant d'y pénétrer avant d'en être empêchées par l'armée. Les protestataires ont lancé des pierres contre des caméras de surveillance dans le secteur, détruisant plusieurs d'entre elles. Des véhicules militaires suivaient au pas les manifestants, en majorité encagoulés. Un vidéaste de l'AFP a constaté que des protestataires ont renversé des bennes à ordures sur la voie afin de bloquer la progression de ces véhicules.
Des maisons de politiciens prises pour cibles
Au milieu d'une foule compacte massée devant la maison du député Fayçal Karamé, Adnan Abdallah s'est lancé dans une diatribe : «Nous ciblons les foyers des politiciens parce qu'ils sont responsables de la situation dans laquelle le Liban se retrouve aujourd'hui [...] Nos dirigeants sont les mêmes depuis 30 ans. Ils ont gâché l'avenir de notre jeunesse et conduit notre pays à la ruine.»
Devant la maison de Samir al-Jisr, autre député de Tripoli et ancien ministre de la Justice, des manifestants ont déclenché un incendie rapidement éteint par les forces de sécurité. «Pourquoi les protégez-vous ?», ont crié les manifestants à l'adresse des forces de sécurité et des militaires déployés en renfort.
Les affrontements qui ont eu lieu dans la soirée du 28 janvier entre manifestants et forces de sécurité ont fait au moins 102 blessés dont cinq hospitalisés, selon un tweet de la Croix-Rouge libanaise.
Adnan al-Hakim, un manifestant de 19 ans, marche en boitant, le visage couvert d'un bandage taché de sang. Il affirme avoir été visé dans la soirée du 27 janvier par une balle en caoutchouc au niveau de la jambe et reçu des coups de matraque sur le visage. Mais il assure que sa détermination reste intacte. «Nous sommes obligés de descendre dans la rue pour réclamer nos droits», affirme à l'AFP le jeune manifestant, avant de déclarer que la classe politique libanaise force la population «à vivre dans l'humiliation». «Nous ne pouvons plus supporter cela», conclut-il.