Fort de sa longue et unique expérience en médecine, Cuba a confié à ses chercheurs la mission d'aboutir au premier vaccin anti-coronavirus conçu et produit en Amérique latine.
«Nous avons la capacité pour fabriquer 100 millions de doses» de Soberana 2, a assuré le 20 janvier le docteur Vicente Vérez Bencomo, directeur de l'institut de vaccination Finlay, avant d'ajouter, confiant : «Si tout va bien, cette année toute la population cubaine sera vaccinée». L'objectif est de lancer la campagne de vaccination au premier semestre de 2020 : pour les Cubains, le vaccin serait gratuit mais pas obligatoire. Il serait proposé aussi en «option» aux touristes, selon le docteur Vérez.
Le pays, l'un des moins touchés de la région par la pandémie, compte 19 122 cas dont 180 décès, pour 11,2 millions d'habitants.
Le 18 janvier, Soberana 2 est passé à la phase II b, qui nécessite 900 volontaires pour les tests. En cas de succès, il entrerait en phase III (la dernière avant approbation), avec 150 000 volontaires cette fois, en mars. Quatre candidats-vaccins sont en préparation. Leurs noms n'ont pas été choisis au hasard comme le souligne l'AFP : Soberana (souveraine) 1 et 2, Abdala (du nom d'un poème du héros national José Marti) et Mambisa (du nom des femmes cubaines ayant lutté pour l'indépendance au XIXe siècle). Les trois premiers sont administrés par injection, le quatrième par spray nasal.
Dans ce pays où un quart du budget est consacré à la santé et où les docteurs sont vus comme des héros, participer aux essais est perçu comme un devoir civique : «je suis fière d'avoir été sélectionnée», a déclaré au journal télévisé Madielin Garcia, la cinquantaine, confiant être «émue».
«30 ans d'expérience»
Cuba a été «le premier candidat d'Amérique latine et des Caraïbes à avoir un vaccin en phase clinique», souligne José Moya, représentant local de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui se dit «optimiste».
La raison de son optimisme ? «Cuba a plus de 30 ans d'expérience dans la production de ses propres vaccins et près de 80% des vaccins du programme national d'immunisation sont produits dans le pays».
Sous embargo américain depuis 1962, Cuba a souvent dû trouver ses propres remèdes. Dès les années 1980, l'île révolutionnaire a misé sur les biotechnologies, découvrant notamment le premier vaccin contre le méningocoque B, raconte à l'AFP Nils Graber, chercheur en anthropologie de la santé à l'université de Lausanne (Suisse). «L'objectif était à la fois d'améliorer le système de santé national et de faire l'objet de biens d'exportation», rappelle-t-il, citant l'envoi de traitements cubains vers l'Amérique latine, l'Asie et l'Afrique.
L'exportation de services médicaux – médicaments, vaccins et médecins – est désormais la principale source de revenus de Cuba, avec 6,3 milliards de dollars en 2018. En 2020, l'île a envoyé des brigades médicales dans 40 pays pour lutter contre le coronavirus. Vu cette longue histoire de résistance et d'inventivité face à l'embargo, «cela aurait été perçu de manière très surprenante et regrettable par la population que Cuba doive importer un vaccin russe ou chinois», observe le chercheur.
Géopolitique
Derrière la prouesse médicale cubaine, la géopolitique n'est jamais loin : le 8 janvier, l'institut Finlay et l'institut Pasteur d'Iran ont signé un accord pour tester en Iran l'efficacité de Soberana 2 pendant la phase III. «Le vaccin de Cuba sera le vaccin de l'Alba», l'Alliance bolivarienne pour les Amériques (dont les membres incluent le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua), a également assuré à l'AFP la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodriguez lors d'une récente visite à La Havane. Le Venezuela propose ses «capacités de production» pour fournir les pays de l'Alliance, même si «bien sûr Cuba pourra offrir son vaccin au monde», a-t-elle ajouté.
Selon José Moya, le vaccin cubain «a été présélectionné par l'OPS [branche panaméricaine de l'OMS], ce qui permettrait de l'inclure dans le fonds de roulement de vaccins, le mécanisme d'acquisition de l'OPS pour les pays des Amériques afin qu'ils puissent avoir accès à des vaccins à un prix raisonnable». «Les laboratoires ont déjà réservé presque toute leur production de l'année et ce sont surtout les pays les plus riches qui l'ont achetée, donc ces vaccins [cubains] vont être nécessaires», ajoute ce représentant local de l'OMS.
Cette semaine, le patron de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a averti que le monde risquait un «échec moral catastrophique» si les pays riches accaparaient les vaccins au détriment des pays pauvres.