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«Pfizer hack» : l'AEM a-t-elle subi des pressions pour approuver au plus vite le vaccin ?

Des documents confidentiels publiés sur le Dark Web par des hackers ayant piraté en décembre 2020 l'Agence européenne des médicaments ont été consultés par Le Monde. Ils montrent la pression subie par l’AEM pour approuver le vaccin Pfizer-BioNTech.

Des documents confidentiels subtilisés par des hackers à l’Agence européenne des médicaments (AEM) le 9 décembre 2020 ont été publiés sur le Dark WebLe Monde et une équipe européenne de journalistes a pu en consulter une partie, qui concerne le dossier d’évaluation du vaccin Pfizer-BioNTech. 

Les courriels divulgués reflètent les problèmes et les discussions qui ont eu lieu

Parmi ces documents figurent 19 courriels échangés en novembre par divers responsables de l’agence. Dans un communiqué du 15 janvier, l'AEM a prévenu qu'une partie de la correspondance pourrait avoir été «manipulée par les auteurs [les hackers] avant leur publication d'une manière qui pourrait saper la confiance dans les vaccins». Mais, contactée par Le Monde, l’agence a néanmoins reconnu que «les courriels divulgués reflètent les problèmes et les discussions qui ont eu lieu».

La tonalité des échanges paraît pour le moins tendue. Le Monde rapporte ainsi que cinq courriels permettent de «toucher du doigt la pression à laquelle faisait face l’agence pour approuver au plus vite un premier vaccin contre le Covid-19».

Dans un échange daté du 19 novembre, un haut responsable de l’AEM évoque par exemple une conférence téléphonique avec la Commission européenne qui se serait tenue dans «une atmosphère plutôt tendue, parfois même un peu désagréable, qui donne une idée de ce que (sic) à quoi l’AEM peut s’attendre si les attentes ne sont pas satisfaites, que ces attentes soient réalistes ou non». Le lendemain, dans un échange avec l’Agence danoise du médicament, le même responsable se dit surpris qu’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ait «clairement identifié les deux vaccins qui pourraient être approuvés avant la fin de l’année [Pfizer-BioNTech et Moderna]. Il y a encore des problèmes avec les deux», s'étonne le haut responsable.

Différences qualitatives entre les lots commerciaux et ceux des essais cliniques

Ces «problèmes» ont été exposés par l’AEM, qui a formulé en novembre trois «objections majeures» concernant le vaccin Pfizer-BioNTech.

Ces trois «problèmes» non négligeables sont cités par Le Monde : «certains sites de fabrication n’avaient pas encore été inspectés ; il manquait encore des données sur les lots de vaccins commerciaux ; mais, surtout, les données disponibles révélaient des différences qualitatives entre les lots commerciaux et ceux qui avaient servi durant les essais cliniques.» Les évaluateurs de l'AEM semblent extrêmement préoccupés par ce dernier point.

«Car pour passer d’un stade clinique à un stade commercial, les fabricants ont dû changer leurs processus de fabrication, ils ont aussi investi dans de nouvelles lignes de production et de nouvelles usines», précise Le Monde. Cela expliquerait des différences dans la composition exacte des vaccins, en particulier une diminution du degré d’intégrité de l’ARN, élément crucial de ce vaccin qui permet la fabrication de la protéine Spike du virus, cette dernière apprenant au système immunitaire à reconnaître cet agent pathogène et à le neutraliser. «Les vaccins utilisés lors des essais cliniques possédaient entre 69 % et 81 % d’ARN "intègre"», explique le journal du soir. Les lots fabriqués dans ces nouvelles lignes de production en vue d'une commercialisation révélaient quant à eux des pourcentages plus faibles d'ARN : 59 % en moyenne. «Certains lots descendaient même jusqu’à 51 % et 52 %. "Un point bloquant"», proteste l’AEM le 23 novembre, citée par Le Monde.

L’efficacité du vaccin et sa sécurité sont alors questionnées. Sollicitée par Le Monde, l’AEM a affirmé que ce problème de qualité avait été réglé par la suite : «La société a été en mesure de résoudre ces problèmes et de fournir les informations et données nécessaires pour permettre à l’AEM d’évoluer vers une recommandation positive pour ce vaccin». L’agence a assuré que les spécifications actuelles sur le niveau d’ARN «sont considérées comme scientifiquement justifiées et acceptables».

«Malgré l’urgence, il y a toujours eu un consensus dans toute l’UE pour ne pas compromettre les normes de haute qualité et pour fonder toute recommandation sur la force des preuves scientifiques, sur la sécurité, la qualité et l’efficacité d’un vaccin, et rien d’autre», insiste encore l’agence européenne.