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Joe Biden désigné président-élu : de quelles cartes dispose encore Donald Trump ?

Des représentants républicains qui présentent leurs propres électeurs lors du Collège électoral, un décret de 2018 contre l'ingérence extérieure : les options de Donald Trump, qui refuse de concéder, s'amenuisent mais existent encore.

«Nous avons juste commencé à nous battre !» : le président américain l'avait annoncé le 12 décembre, après le rejet par la Cour Suprême du recours présenté par l'Etat du Texas, il n'entend pas concéder. Et ce n'est pas le vote du Collège électoral en faveur de Joe Biden le 14 décembre qui devrait faire évoluer sa position, quand bien même le chef de la majorité républicaine au Sénat américain Mitch McConnell a reconnu la victoire du démocrate.

L'équipe juridique du chef d'Etat l'a dit à de nombreuses reprises : estimant que le scrutin a été marqué par une fraude de grande ampleur (ce que nie son rival), elle entend contester le résultat de l'élection jusqu'au bout, à savoir la date butoir du 6 janvier. C'est en effet à cette date que le Congrès se réunira pour ouvrir et comptabiliser officiellement les votes du Collège électoral sous l'autorité du vice-président Mike Pence.

Or, dans cette élection décidément chaotique, un événement singulier s'est produit le 14 décembre : les représentants républicains de sept Etats (l'Arizona, la Pennsylvanie, le Michigan, la Géorgie, le Wisconsin, le Nouveau Mexique et le Nevada) ont envoyé leurs propres grands électeurs lors du Collège électoral.

Arguant que des procédures judiciaires sont toujours en cours et que les résultats certifiés ne représentaient donc pas le choix des électeurs, ils ont envoyé leurs propres grands électeurs qui ont voté pour Donald Trump. «La législature de l’Etat d’Arizona a l’obligation constitutionnelle et légale de veiller à ce que les grands électeurs de l’Etat représentent véritablement la volonté des électeurs de l’Arizona», expliquent par exemple les représentants républicains de cet Etat dans une résolution. Dans leur texte, ils demandent au Congrès soit de prendre en compte leurs propres électeurs, soit de n'en comptabiliser aucun jusqu'à ce qu'un audit sur le scrutin soit mené et que toutes les irrégularités soient résolues.

Ces sept Etats se retrouvent donc avec deux «jeux» de grands électeurs distincts, les uns en faveur de Joe Biden, les autres en faveur de Donald Trump. Une situation improbable mais pas inédite : en 1876, sur fond de pratiques électorales douteuses de la part des démocrates, les républicains avaient envoyé leurs électeurs dans trois Etats officiellement remportés par leur adversaire, comme le rappelle l'agence de presse Reuters. S'en était suivi un imbroglio juridique au terme duquel une commission avait finalement donné raison aux républicains, permettant au candidat Rutherford B. Hayes de remporter l'élection.

En l'état actuel des choses, il demeure toutefois hautement improbable que le Congrès prenne en considération le vote des électeurs envoyés par les républicains au détriment des grands électeurs officiels. Pour qu'il se résolve à cette solution drastique – qui constituerait un séisme politique sans précédent outre-Atlantique – il faudrait que l'équipe juridique de Donald Trump parvienne à démontrer sans l'ombre d'un doute que les résultats certifiés par ces Etats ne sont pas valides.

Dominion voting system dans le collimateur

Sur ce point, et en dépit des multiples rejets des procédures judiciaires visant à dénoncer des irrégularités dans le scrutin, l'équipe de Donald Trump ne s'avoue pas vaincue. Elle vient même de remporter une petite victoire à la suite de la publication d'un audit demandé par un juge des machines à tabulation des votes Dominion voting system dans le comté d'Antrim, dans le Michigan. Les conclusions du rapport sont formelles : «Dominion Voting System est intentionnellement et délibérément conçu avec des erreurs inhérentes [au système] pour créer une fraude systémique et influencer les résultats des élections». D'après ces analyses, le taux d'erreurs dans ce comté est étourdissant, 68,05%, alors que le taux d'erreur admissible établi par les directives de la Commission électorale fédérale est de... 1 bulletin sur 250 000 (0,0008%).

De leur côté, les démocrates balayent d'un revers de la main ce rapport qu'ils estiment avoir été mené par une organisation «partisane». Il ne s'agit selon le procureur général et le secrétaire d'Etat du Michigan que d'une «autre [assertion], dans un long flot d'affirmations erronées, vagues et douteuses visant à éroder la confiance du public dans l'élection présidentielle de novembre».

Pourtant les accusations concernant Dominion ont fait naître le doute quant à la fiabilité de ses machines au-delà de ce seul comté du Michigan. Dans l'Arizona, les sénateurs républicains ont ainsi annoncé leur intention de mener un audit similaire dans le comté de Maricopa. Et de souligner que si un tel audit venait à montrer que les résultats de l'élection étaient incorrects, cela pourrait convaincre le Congrès de prendre en considération les objections présentées par les législateurs républicains concernant la comptabilisation des votes de l'Etat lors du Collège électoral.

Trump peut-il enclencher un décret sur l'ingérence de septembre 2018 ?

Du reste, en l'état, même si ces audit locaux parvenaient à prouver des irrégularités, ils seraient loin d'être suffisants pour invalider le résultat de l'élection générale. C'est à l'échelle du pays – ou au moins de la totalité des Etats clés – que les irrégularités, si elles existent, devront être démontrées. Et dans cette optique, Donald Trump n'a peut-être pas encore dévoilé tout son jeu.

Le chef de l'Etat, qui vient de remercier le procureur général William Barr pour le remplacer par Jeff Rosen, a retweeté dans la foulée un message dans lequel était repris un essai publié par ce dernier en août. Dans cet essai Jeff Rosen s'inquiétait de la sécurité des élections, dénonçant «des acteurs étrangers [qui] tentent secrètement» d'en saper la confiance, soulignant par ailleurs que les «efforts malveillants d'influence de l'étranger» dans les élections étaient «un problème permanent».

Pour faire face à cette menace, le futur procureur général évoquait un décret – passé quelque peu inaperçu – signé par Donald Trump en septembre 2018. Selon ce décret, «au plus tard 45 jours après la conclusion d'une élection aux Etats-Unis, le directeur du renseignement national (DNI), en consultation avec les responsables de tous les autres départements et agences concernés, procède à une évaluation de toute information indiquant qu'un gouvernement étranger, ou toute personne agissant en tant qu'agent ou pour le compte d'un gouvernement étranger, a agi dans l'intention ou le but d'interférer dans cette élection.» L'éventuel rapport du DNI – si toutefois il voyait le jour, aucune information officielle n'ayant filtré à ce propos – pourrait ainsi être remis au chef de l'Etat jusqu'au 18 décembre.

L'avocate Sydney Powell, qui travaille en collaboration avec l'équipe de juridique de Donald Trump, bien que de façon indépendante, a d'ores et déjà affirmé dans une interview au journal The Epoch Times, connu pour ses positions pro-Trump, que les éléments concernant une supposée ingérence étrangère dans l'élection du 3 novembre étaient «plus que suffisants pour déclencher» le décret. Elle accuse notamment le Dominion voting system d'être lié à des intérêts étrangers. En vertu du texte, le chef de l'Etat aurait alors la capacité de geler les avoirs des personnes incriminées, mais aussi et surtout de nommer un procureur spécial pour enquêter sur cette question. Le cas échéant, le Congrès ne pourrait ignorer les résultats de cette enquête lors de sa session du 6 janvier prochain.

Pourtant pour l'heure, n'en déplaise à Sydney Powell, il semble bien difficile de déclencher ce décret sur la base des éléments actuellement disponibles. C'est peut-être ailleurs que se tournera le chef d'Etat s'il compte défendre la thèse d'une ingérence extérieure : le 13 décembre, l'agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (CISA) a révélé l'existence d'un piratage massif du fournisseur de logiciels informatiques SolarWinds. Or SolarWinds compte parmi ses clients de nombreuses agences gouvernementales américaines, mais aussi... Dominion voting sytem. Si ce piratage était le fait d'agents étrangers aux Etats-Unis, ce qui reste à prouver, le locataire de la Maison Blanche disposerait alors d'un sérieux argument à faire valoir pour appliquer ce fameux décret, arguant que la sécurité de l'élection a été compromise. Il pourrait alors espérer réaliser l'impossible : décrocher contre toute attente un nouveau mandat.

Frédéric Aigouy