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Ethiopie : les forces de la région dissidente du Tigré attaquent l'Erythrée

Les autorités de la région du Tigré, dissidente de l'Ethiopie, ont revendiqué des tirs de roquettes sur la capitale érythréenne Asmara. Elles accusent l'Erythrée d'autoriser le pouvoir éthiopien à utiliser son territoire pour attaquer le Tigré.

Les autorités de la région dissidente éthiopienne du Tigré ont tiré le 14 novembre 2020 des roquettes sur Asmara, la capitale de l’Erythrée, qui selon elles prête main-forte à l'armée fédérale éthiopienne dans son offensive contre le Tigré. 

«Le nombre estimé de victimes [décédées], actuellement de 34, va probablement augmenter», a informé dans un communiqué la Commission éthiopienne des droits humains (EHRC), institution publique indépendante le 15 novembre.

Ces tirs marquent une escalade susceptible de faire dégénérer le conflit. Le 4 novembre, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed avait envoyé l'armée fédérale à l'assaut du Tigré, après des mois de tensions croissantes avec les autorités régionales du Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF).

Premier ministre depuis 2018, Abiy Ahmed a obtenu en 2019 le prix Nobel de la paix pour avoir réconcilié l'Ethiopie et l'Erythrée. Les deux pays étaient à couteaux tirés depuis une guerre meurtrière qui s'était déroulée entre 1998 et 2000. Le TPLF était alors le parti tout-puissant à Addis Abeba. Abiy Ahmed a progressivement écarté du pouvoir le TLPF, qui représente la minorité tigréenne (6% de la population) et qui durant presque 30 ans a contrôlé l'appareil politique et sécuritaire éthiopien.

Le Tigré revendique les frappes 

Le 15 novembre, le président du Tigré, Debretsion Gebremichael, a revendiqué les tirs de roquettes qui ont frappé la veille au soir, selon des diplomates basés à Addis Abeba, les abords de l'aéroport d’Asmara. Le TPLF a accusé ces derniers jours le pouvoir d’Asmara de laisser l'armée éthiopienne utiliser son territoire – bordant toute la frontière nord du Tigré – pour y faire passer ses troupes ou décoller ses avions, et affirme que l'armée érythréenne participe directement à des combats au sol au Tigré.

«Les forces éthiopiennes utilisent aussi l'aéroport d'Asmara» ce qui en fait «une cible légitime», a justifié dimanche Debretsion Gebremichael, répétant que les forces du TPLF «combattent les forces érythréennes depuis quelques jours sur plusieurs fronts» au Tigré.

Les multiples affirmations de chacun des deux camps sont invérifiables par des sources indépendantes, en raison des restrictions de déplacement des journalistes. Ces derniers jours, le gouvernement éthiopien a tout-de-même assuré que les forces du TPLF étaient «à l’agonie». Le 15 novembre, Abiy Ahmed a assuré que les opérations militaires «progressaient bien» et que «l'Ethiopie était plus que capable d'atteindre les objectifs [...] par elle-même». Le 15 novembre, des médias d'Etat ont rapporté la prise d'Alamata, localité du Sud-Est du Tigré, à 180 km de route au sud de la capitale régionale Mekele. Les forces du TPLF ont de leur côté affirmé avoir infligé de «lourdes pertes» à l'armée fédérale.

«Internationalisation de la guerre» ?

Les autorités du Tigré souhaitent «l'internationalisation de la guerre», explique à l'AFP Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, dans le but de faire intervenir la communauté internationale tout en créant un sentiment nationaliste en Ethiopie qui pourrait leur être favorable. «Une implication de l'Erythrée permet aussi de justifier par avance le coût de la guerre pour la population civile» au Tigré, ajoute ce spécialiste de l'Afrique.

Le 14 novembre, le TPLF avait déjà revendiqué le tir de «missiles» contre deux aéroports de la région voisine de l'Amhara, également utilisés selon lui par l'aviation militaire éthiopienne. Les tirs vers l'Amhara et l'Erythrée montrent la capacité du TPLF à porter les hostilités loin de son fief. Ce alors que le général Berhanu Jula, chef d'état-major de l'armée fédérale, avait assuré au début de l'offensive que «la guerre ne gagnerait pas le centre du pays» et «se terminerait» au Tigré.

En outre, même si le TPLF assure que «le conflit ne concerne pas les civils amhara», de vieux différends territoriaux opposent les Amharas, deuxième groupe ethnique du pays, et les Tigréens. Des milliers de miliciens amhara ont déjà rejoint le Tigré pour appuyer l'armée fédérale éthiopienne.

D'où les craintes croissantes de nombreux observateurs que ce conflit puisse entraîner l'Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d'Afrique (100 millions d'habitants) et mosaïque de peuples, dans une guerre communautaire incontrôlable, déstabilisant ainsi toute la région de la Corne de l'Afrique.

25 000 personnes réfugiées au Soudan 

De son côté, le Haut commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR) s'est inquiété d'une possible vague massive de réfugiés au Soudan voisin, estimant que le conflit risquait de s'intensifier. Près de 25 000 Ethiopiens, hommes, femmes et enfants, ont déjà fui au Soudan les combats au Tigré, selon l'agence soudanaise Suna.

Certains ont retrouvé un camp où ils s'étaient déjà réfugiés 20 ans auparavant pour fuir la famine qui décimait l'Ethiopie.

A Kampala (Ouganda), des responsables gouvernementaux ont indiqué le 15 novembre que le président ougandais Yoweri Museveni allait entamer le 16 novembre en Ouganda une médiation entre le gouvernement éthiopien et les autorités régionales dissidentes du Tigré.

Sollicité par l'AFP à ce sujet, un porte-parole du ministère éthiopien des Affaires étrangères a déclaré ne «pas être au courant». Le président du Tigré, Debretsion Gebremichael, n'a pas répondu le 15 novembre aux messages de l'AFP.