International

Par souci de se conformer au Coran, le président tunisien ne veut pas réformer les règles d'héritage

Le président tunisien Kaïs Saïed a déclaré à l’occasion de l'anniversaire du Code du statut personnel que l'Etat n'avait «pas de religion» mais il s'est ensuite opposé à l'égalité homme-femme dans l'héritage, qui ne serait pas conforme au Coran.

Le 13 août, à l'occasion de la fête nationale de la femme et de la famille et du 64e anniversaire du Code du statut personnel (CSP) – un corpus juridique promulgué en 1956 qui consacre l'égalité entre l'homme et la femme – le président tunisien Kaïs Saïed a dressé un état des lieux de trois dossiers qui passionnent autant qu'ils divisent l'opinion publique tunisienne : l'égalité en matière d'héritage entre hommes et femmes, le rapport entre les mondes religieux et politique, et la politisation de la justice.

Kaïs Saïed brandit le Coran face à l'égalité successorale entre hommes et femmes

Sujet brûlant s'il en est un, l'égalité juridique totale entre hommes et femmes – qui passe par la loi relative à l'égalité des sexes sur l'héritage – a été remise au devant de l'actualité ces dernières années, notamment sous la pression des mouvements féministes et d'une partie non négligeable de l'opinion, provoquant d'ardents débats en Tunisie, comme le souligne l'historienne Sophie Bessis dans Le Monde. Le prédécesseur de Kaïs Saïed, feu Béji Caïd Essebsi, n'avait toutefois pas réussi à la faire adopter.

L'actuel président tunisien a réitéré le 13 août son opposition à l'égalité homme-femme dans l'héritage, déjà défendue en octobre 2019 lors de sa campagne pour l'élection présidentielle.

Le plus important c’est de consacrer l’égalité dans les droits sociaux et économiques

Le chef d'Etat tunisien a fait savoir que l'égalité en matière d'héritage entre hommes et femmes n'était pas conforme au texte coranique, avant d'ajouter que «le débat sur l'égalité dans l'héritage est faux et n'est guère innocent», selon des propos rapportés par le site d'information tunisien webmanagercenter. Ainsi, encore actuellement, «la femme n'hérite que de la moitié de la part d'un homme, au même degré de parenté, selon la loi inspirée du texte sacré», précise RFI.

Par ailleurs, selon Kaïs Saïed, le climat insurrectionnel qu'a traversé la Tunisie au début des années 2010, le «Printemps arabe», a été motivé par la quête de liberté, de dignité et de justice sociale, et non pour revendiquer l'égalité dans l'héritage, d'après la même source. «Le plus important c’est de consacrer l’égalité dans les droits sociaux et économiques», a-t-il annoncé à l'occasion, avant de rappeler que «la loi successorale dans le texte coranique est basée sur l’équité et la justice», révoquant ainsi la notion d'égalité au profit de celle d'équité.

«Les palais de justice ont été infiltrés jusqu'à aujourd'hui par la politique», estime le président tunisien

«L’égalité, telle que conçue par la pensée libérale, n’est que formelle et n’est pas fondée réellement sur la justice», a-t-il ensuite plaidé au Palais présidentiel de Carthage, selon l'agence officielle Tap citée par La Croix.

Une lecture du principe d'égalité proprement réactionnaire

Le discours du président Kaïs Saïed, qui a défendu les valeurs musulmanes d'équité et de justice plutôt que d'égalité, a suscité de nombreuses réactions, notamment du côté des associations féministes tunisiennes. «Une lecture du principe d'égalité proprement réactionnaire», a estimé dans un communiqué la présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), Yosra Frawes, avant d'ajouter : «C'est la première fois qu'un président ne promet aucune mesure en faveur des femmes.»

De son côté, la présidente de la Commission des libertés individuelles et de l'égalité (Colibe), Bochra Bel Haj Hmida, a qualifié sur RFI le discours du président tunisien de «creux et populiste à outrance», sans pour autant être étonnée de ses positions jugées conservatrices.

Concernant le rapport entre les mondes religieux et politiques en Tunisie – où l'islam est la religion principale – comme stipulé dans l’article premier de la Constitution tunisienne, Kaïs Saïed a affirmé, selon le site d'information tunisien : «l'Etat n'a pas de religion».

Il s'est ensuite interrogé avec dérision : «Les Etats membres des Nations unies entreront-ils au paradis ou en enfer ?» Si le dirigeant tunisien annonce vouloir séparer définitivement la sphère religieuse de celle du politique, il ne semble pas prêt à séparer le religieux du sociétal. Le troisième dossier évoqué par le dirigeant tunisien concerne la politisation de la justice et son instrumentalisation par les partis politiques. Il regrette ainsi le manque d'indépendance de la justice tunisienne, voire sa corruption.

«Malheureusement, les palais de justice ont été infiltrés jusqu'à aujourd'hui par la politique», a-t-il déploré à l'occasion. Et d'ajouter : «Lorsque la politique s'infiltre dans les palais de justice et que les politiciens sont assis sur les canapés des juges habillés en juges, la justice sort de ces palais.» Il a ensuite exigé aux magistrats «à faire preuve de plus d'indépendance et à faire prévaloir le droit», selon la même source.