Le patriarche russe Kirill s'est déclaré dans un communiqué «profondément préoccupé» par un éventuel changement de statut de «l'un des plus grands monuments de la culture chrétienne» et «particulièrement cher à l'Eglise russe», héritière des traditions byzantines.
En réagissant aux déclarations turques, le patriarcat de Moscou a souligné le lien historique existant entre la Russie et la Turquie qui a traversé des périodes parfois difficiles, mais qui a profondément influencé l'histoire et la culture russe. «Sainte-Sophie était et reste l’un des symboles, vénérés avec dévotion. Elle a inspiré les architectes de Kiev, de Novgorod, de Polotsk, tous les principaux centres de la croissance spirituelle de la Rus’ ancienne», a précisé dans un communiqué le patriarcat.
«Toute tentative d'humilier ou de piétiner l'héritage spirituel millénaire de l'Eglise de Constantinople est perçue par le peuple russe – jadis comme aujourd'hui – avec amertume et indignation», a averti le patriarche de Moscou car «aujourd’hui encore, Sainte-Sophie représente pour tous les orthodoxes de Russie un sanctuaire chrétien essentiel», a-t-il ajouté.
«Une menace envers Sainte-Sophie est une menace pour l'ensemble de la civilisation chrétienne, et donc envers notre spiritualité et notre histoire», a déclaré le patriarche russe Kirill, appelant le gouvernement turc à la «prudence» et à la «sagesse». Selon lui, la préservation d'un des plus grands chefs-d’œuvre de la culture chrétienne sert à «la consolidation de la paix et de la concorde interreligieuses».
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a quant à lui déclaré «espérer que le statut de la basilique Sainte-Sophie en tant qu'objet appartenant au patrimoine mondial ser[ait] pris en compte» par Ankara. Il a estimé aussi que Sainte-Sophie présentait «une valeur sacrée» pour les Russes, tout en jugeant que la question de la reconversion ou non du lieu relevait «des affaires intérieures de la Turquie».
Prendre en compte l'importance mondiale
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Verchinine, a également appelé Ankara à «prendre en compte l'importance mondiale» de l'ancienne basilique byzantine qui est aujourd'hui un musée.
Le plus haut tribunal administratif de Turquie a étudié le 2 juillet une demande de reconversion en mosquée de l'ancienne basilique Sainte-Sophie, une mesure que le président Recep Tayyip Erdogan appelle de ses vœux au risque de susciter des tensions avec plusieurs pays. Le tribunal doit désormais annoncer sa décision sous 15 jours.
Plus tôt les Etats-Unis ont également exprimé leur désaccord concernant le changement de statut de Sainte-Sophie car, selon eux, il pourrait restreindre l'accès à cet édifice remarquable. «Nous demandons instamment au gouvernement turc de continuer à maintenir Sainte-Sophie en tant que musée, comme exemple de son engagement à respecter les diverses traditions religieuses et l'histoire de la Turquie, et à veiller à ce qu'elle reste accessible à tous», a déclaré le 1er juillet le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo.
Histoire de l’édifice
Œuvre architecturale majeure construite au VIe siècle par les Byzantins qui y couronnaient leurs empereurs, Sainte-Sophie est un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco et l'une des principales attractions touristiques d'Istanbul. Elle est très chère à l’Eglise russe car elle a joué un rôle très important pour la tradition orthodoxe: «Les ambassadeurs du grand-prince russe Vladimir, ayant franchi le seuil de cette église, furent ravis par sa beauté céleste. Convaincu par leur récit, saint Vladimir reçut le baptême et baptisa la Russie, qui entra à sa suite dans une nouvelle ère spirituelle et historique, dans la civilisation chrétienne», a ainsi expliqué le patriarcat de Moscou.
Convertie en mosquée après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, Sainte-Sophie a été transformée en musée en 1935 par le dirigeant de la jeune République turque, Mustafa Kemal Atatürk, soucieux de «l'offrir à l'humanité».