Se dirige-t-on vers un déni flagrant de démocratie en Equateur ? C'est en tout cas ce que déplorent les partisans de l'ancien président du pays Rafael Correa, soutenus par une grande partie des personnalités de la gauche latino-américaine, réunis dans le groupe de Puebla. Le Mouvement pour l'engagement social (Fuerza compromiso social) pour la révolution citoyenne (RC), conduit par l'ancien président équatorien Rafael Correa, a en effet dénoncé le 22 juin la tentative de le mettre hors-jeu pour les élections présidentielles de 2021, estimant qu'il s'agit d'une «fraude électorale».
Le but de la manœuvre [...] est clairement d'empêcher les corréistes de se présenter
Pour comprendre la situation, il faut d'abord connaître l'organisation des institutions en Equateur, où, comme c'est le cas au Venezuela, il existe un pouvoir électoral, qui s'ajoute à l'exécutif, au législatif, au judiciaire et au pouvoir citoyen. Officiellement indépendant, le Conseil national électoral (CNE) supervise tous les votes et veille à la régularité des scrutins. Et sa prérogative consiste donc également à valider les candidatures. C'est sur ce point que porte la polémique actuelle autour de la candidature du parti corréiste. Ainsi, le CNE a récemment émis une recommandation appelant à surveiller la situation administrative et juridique du Mouvement pour l'engagement social, ainsi que de trois autres petits partis, concernant notamment le nombre de signatures nécessaires à la validation de leur candidature pour l'élection de 2021. Profitant de cette recommandation, le contrôleur national de l'Etat, Pablo Celi, proche de l'actuel président Lenin Moreno, a demandé au CNE la radiation pure et simple des inscriptions des quatre mouvements politiques en question. Selon le site d'actualité espagnole El diario, le CNE n'ayant pas obtempéré à cette demande, Pablo Celi, dans une autre lettre envoyée le 22 juin, a annoncé sa décision de révoquer les conseillers électoraux qui s'y sont opposés et de leur imposer une amende. Parmi eux figurait notamment Diana Atamaint, la présidente du CNE, ainsi que deux autres membres, qui forment le groupe majoritaire au Conseil électoral.
«La fraude est si grave que [...] la recommandation de "surveiller la situation juridique" est remplacée par "retirer l'enregistrement" du [Mouvement pour] l'engagement social, détruisant le Code de la démocratie», s'est insurgé l'ancien président équatorien Rafael Correa sur son compte Twitter. «Si vous voulez gagner, faites-le lors des élections», a-t-il encore écrit dans un autre tweet, s'adressant au clan de Lenin Moreno.
Pour RT France, Romain Migus, journaliste et fondateur du site francophone d'actualités de l'Amérique latine Les 2 Rives, analyse la situation : «Les partisans de Correa pourraient très bien relancer la collecte de signatures nécessaires vu que c'est de cela que relevait la recommandation du CNE, mais le temps leur est désormais compté. Fuerza compromiso social n'est pas un nouveau parti, il s'est déjà présenté aux élections. Le but de la manœuvre de Celi est clairement d'empêcher les corréistes de se présenter.»
Une stratégie systématique des forces conservatrices de judiciarisation de la politique
Dans un commentaire laconique, cité par le quotidien équatorien El Comercio, Pablo Celi a nié toute ingérence dans le champ électoral. En tout état de cause, Vanessa Freire, la présidente du mouvement corréiste, a annoncé lors d'une conférence de presse avoir déposé le 22 juin une demande au Tribunal du contentieux électoral (TCE) pour envisager le licenciement de Pablo Celi en raison d'une ingérence dans le processus électoral. Elle a estimé à cet égard que l'Equateur connaissait actuellement des «moments très sombres» et que la démocratie y était «en danger». Le mouvement corréiste entend alerter toutes les instances impliquées, tant au niveau national qu'international, pour que ne lui soit pas retirée la possibilité de se présenter à la présidentielle de 2021.
Premier à réagir à l'affaire, le groupe de Puebla, composé de présidents, d'anciens présidents, de dirigeants politiques et sociaux du mouvement socialiste et d'universitaires – parmi lesquels les Brésiliens Lula et Dilma Rousseff, l'ancien président bolivien Evo Morales ou l'actuel président argentin Alberto Fernandez – a dénoncé dans un communiqué «une stratégie systématique des forces conservatrices de judiciarisation de la politique».
Le groupe fustige une stratégie visant en Equateur «à attaquer ouvertement la démocratie, empêchant la participation politique d'un groupe légalement constitué et qui a participé au dernier processus électoral (2019)». Les membres du groupe de Puebla, signataires du communiqué, expriment ainsi leur «profonde préoccupation face à l'état de vulnérabilité démocratique mis en place par le régime du président Lenin Moreno» et alertent la communauté internationale sur la «grave ingérence» opérée par le contrôleur d'Etat.
Meriem Laribi