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Mali : nouvelle démonstration de force des opposants au président Ibrahim Boubacar Keïta

Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans le centre de Bamako pour réclamer le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta, à l'appel d'une coalition hétéroclite formée ces dernières semaines contre le chef de l'Etat.

Ce 19 juin, le centre de Bamako a été le théâtre de la deuxième grande manifestation rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes. Depuis deux semaines, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, surnommé «IBK» subit une vague de protestation. Le premier rassemblement, le 5 juin, a donné son nom à la contestation, «Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques» (M5-RFP).

Après une prière dirigée par un imam sur la place de l'Indépendance, l'hymne national a retenti, puis le vacarme des vuvuzelas a pris le dessus, alors que les manifestants portaient des pancartes où l'on pouvait notamment lire «IBK dégage» ou «La dictature ne passera pas».

«Nous sommes là pour la victoire finale, il n'y a pas de négociation possible, IBK doit démissionner», a affirmé un manifestant, Mamadou Diakité, un enseignant âgé de 42 ans. «Aujourd'hui, c'est le dernier jour du mandat d'IBK», assurait une manifestante, Foune Djiteye.

Un organisateur a évoqué le nombre de «200 000 personnes», un pompier évoquant «au moins 20 000». 

A Paris, ils étaient aussi plusieurs dizaines avec les mêmes revendications.

Signe des tensions politiques croissantes au Mali ces dernières semaines, ce mouvement exprime l'exaspération nourrie par les milliers de victimes des attaques djihadistes et des violences intercommunautaires, l'apparente impuissance de l'Etat à y faire face, le marasme économique, la crise des services publics, de l'école, et la perception d'une corruption répandue.

A la tête du M5-RFP, qui rassemble des responsables religieux et des personnalités de la société civile comme du monde politique, se trouve un homme à l'influence croissante, Mahmoud Dicko, imam rigoriste et patriote, ancien allié du président IBK désormais bête noire du pouvoir.

Le président a proposé un gouvernement «d'union nationale», les manifestants refusent

Pour tenter d’apaiser les tensions, le président Ibrahim Boubacar Keïta, à la tête depuis 2013 de ce vaste pays pauvre, a tendu la main ces derniers jours à ses adversaires, en ouvrant la voie à un gouvernement «d'union nationale». Il a aussi fait des concessions aux enseignants en grève, en promettant les augmentations de salaire qu'ils réclament depuis des mois.

L'imam Mahmoud Dicko, après avoir rencontré le chef de l'Etat, a maintenu son appel à manifester «en masse», se gardant toutefois de réclamer lui-même sa démission. «Il n'a pas tiré la leçon, il n'écoute pas les gens. Mais cette fois-ci, il va comprendre», avait-t-il averti le 17 juin devant la presse.

Après l'ONU puis l'Union africaine, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a elle aussi tenté une médiation cette semaine. «Ça n'a pas donné grand chose», a reconnu le 19 juin un membre de sa délégation interrogé par l'AFP.

«Nous avons accepté d'échanger avec la Cédéao parce que ce sont des bons voisins, nous leur avons donné des assurances que nous n'allons pas mettre le feu au pays. Mais nous allons nous battre jusqu'à la satisfaction de notre demande», a déclaré le même jour Mahmoud Dicko aux manifestants.

Des manifestants servent-ils les djihadistes ?

Le 18 juin, le président de l'Assemblée nationale, Moussa Timbiné, a mis en garde ceux qui seraient tentés de céder aux pressions de la rue. «La logique» de ces manifestations, c'est «d'ébranler toutes les institutions. De fil en aiguille, c'est le Mali qui sera complètement occupé par les djihadistes. Beaucoup [de ceux] qui marchent sont avec les djihadistes», a-t-il déclaré en séance plénière.

Ces tensions politiques surviennent alors que le Mali est toujours en guerre contre les groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et à l'Etat islamique. Le 14 juin, une attaque qui leur a été attribuée a fait au moins 27 morts dans les rangs de l'armée malienne.

Il est «encore trop tôt pour crier victoire» au Sahel, où la situation sécuritaire «reste profondément fragile [malgré les] progrès indéniables» accomplis contre les djihadistes par les 5 100 militaires français de l'opération Barkhane aux côtés des armées nationales, a souligné le 18 juin la ministre française des Armées, Florence Parly.

Fin juin, la France et les pays sahéliens doivent faire le point sur les six mois écoulés depuis le sommet de Pau, alors que l'ONU cherche à convaincre ses membres du bien-fondé du renouvellement de sa mission au Mali, la Minusma.