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«Game of Thrones au royaume des Saoud», la monarchie serait-elle menacée ?

Le Middle East Eye a rendu publique une lettre écrite par un membre de la famille royale saoudienne. Il prévient que la monarchie est en danger et réclame le départ du roi Salmane et de son fils Mohammed.

Digne d’un roman historique. Une histoire qui fleure bon le secret et les intrigues de cour. Cette fois, le décor ne prend pas place au château de Versailles ou dans une république italienne mais en plein désert. Le royaume d’Arabie saoudite est secoué par une affaire qui pourrait faire trembler la monarchie. Le Middle East Eye a publié, le 22 septembre, une lettre de quatre pages écrite par un membre de la famille royale. Il se présente comme petit-fils du fondateur du royaume et premier roi, Abdelaziz Al Saoud.

L'homme s’alarme d’une imminente chute du régime si le roi Salmane et son fils, le ministre de la Défense et vice-prince hériter, Mohammed, ne quittent pas le pouvoir. L'auteur de la lettre a souhaité garder l’anonymat par peur de représailles.

Le document a circulé de prince en prince par le biais de moyens de communication sécurisés. Ceci dans le but de contrer la surveillance dont seraient victimes les membres de la famille royale.

«Nous nous rapprochons de plus en plus d’un écroulement de la nation et d’une perte du pouvoir», s’inquiète l’auteur. Il appelle «tous les fils» d’Abdelaziz encore vivant, «de l'aîné Bandar jusqu’au plus jeune Muqrin», à convoquer d’urgence une assemblée afin de discuter de la situation et «faire le nécessaire pour sauver le pays».

La politique étrangère dans le viseur

L’auteur consacre une partie de sa lettre à critiquer les choix en matière de politique étrangère. Selon lui, les problèmes auraient débuté sous le règne d’Abdallah, dix ans auparavant. Aujourd’hui, il juge les décisions militaires concernant le Yémen, la Syrie ou l’Irak «mal calculées» et responsables d’un déficit de confiance de la part du peuple et d’animosité à l’étranger.

Mohammed ben Salmane Al Saoud est dans le viseur. Le plus jeune ministre de la Défense de l’histoire du pays (35 ans) est montré du doigt pour sa décision de lancer, en mars dernier, une coalition de pays arabes afin de lutter contre les rebelles Houthis au Yémen. Ces combattants chiites, accusés par Riyad d’être soutenus par l’ennemi iranien sont vus comme des cibles prioritaires par le régime. De même, sous Abdallah, la pétromonarchie a rejoint la coalition américaine bombardant l’Etat islamique en Irak et en Syrie tout en soutenant activement des groupes anti-Assad dont la nature portaient parfois à polémique.

Ces décisions sont vues comme des échecs par l’auteur de la lettre. Les rebelles Houthis contrôlent toujours Sanaa, la capitale yéménite. Bachar el-Assad est encore en place et l’EI ne semble pas touché outre mesure par les frappes de la coalition. De plus, l’Arabie saoudite a fait face à plusieurs attentats sur son sol, revendiqués par Daesh. Le régime clame arrêter des centaines de personnes soupçonnés de terrorisme à travers le pays.

Pour toutes ces raisons, l’auteur de la lettre explosive demande le retour des membres plus anciens de la dynastie des Saoud.

Chute des cours du pétrole et problèmes financiers

Un autre point qui chagrine notre mystérieux écrivain : les cours du pétrole. La chute vertigineuse des douze derniers mois qui a vu le prix du baril passer de 120 dollars à moins de 50 a eu un impact dévastateur sur les finances du royaume. L’Arabie saoudite tire ses revenus à 90% des ventes de pétrole. Un analyste de la Citibank a récemment déclaré que cette année, le gouvernement ferait face à un déficit budgétaire de l’ordre de 20%. Un des plus importants au monde.

La situation est d’autant plus ubuesque que l’Arabie saoudite et les pays de l’OPEP ont refusé à plusieurs reprises de baisser leurs productions alors qu’un excédant d’offre est en grande partie à l’origine de la chute des cours.

Ce krach budgétaire a asséché de manière inquiétante les réserves de liquidités du pays. Lors du premier semestre 2015, le gouvernement a dépensé 82 milliards de dollars. Avec plus de 10% de son trésor de cash dilapidé, la situation est jugée inquiétante par la Citibank. A ce rythme, le pays pourrait se retrouver à sec de liquidités dans les deux ou trois ans.

«Nous ne serons pas capables de redresser la situation sans changer les méthodes de gouvernance même si cela implique de changer le roi lui-même», analyse l’auteur de la lettre.

Une lutte générationnelle et familiale

Pour comprendre ces luttes intestines, il faut remonter à la fondation. Le roi Abdelaziz a créé le royaume moderne en 1932. Depuis sa mort, en 1953, le pouvoir a toujours été exercé par ses fils. La nouveauté survient dans l'identité du prince hériter. Le roi Salmane a choisi Mohammed bin Nayef pour lui succéder, un des petits-fils d’Abdelaziz. Et c’est Mohammed ben Salmane Al Saoud, propre fils du roi Salmane, qui a la charge de vice-prince héritier. Le bât blesse lorsque l’on sait que treize des fils du fondateur sont encore en vie. Au sein de la famille royale, ces nominations ont du mal à passer pour certains.

«Le développement récent le plus important en Arabie saoudite a été la transition opérée entre les fils et les petits-fils d’Abdelaziz», explique Christian Koch, directeur du Centre de recherches des pays du Golfe.

Lors de son accession au pouvoir, Salmane a fait du ménage dans les plus hautes sphères. Des hommes de confiance de son prédécesseur se sont vus écartés comme Khalid al-Tuwaijri, ex-président du tribunal royal et remplacé par l’inexpérimenté fils de Salmane. De quoi provoquer des rancoeurs.

Mohammed ben Salmane Al Saoud en embuscade

Du côté de Riyad, on murmure que le fils prodigue voudrait s’assurer un avenir encore plus radieux. Déjà à la tête de la défense saoudienne, il est cependant devancé dans l’ordre dynastique par Mohammed bin Nayef.

Un dissident saoudien basé à Londres, dont l’identité n’a pas été dévoilée, a confié que plusieurs membres de la famille royale pensent que le roi pourrait prochainement offrir à son fils la place de bin Nayef. En d’autres termes, en faire son successeur.

L’ambitieux trentenaire prend de plus en plus d’importance dans les affaires du royaume. On l’a ainsi vu accompagner son père aux Etats-Unis lors d’une rencontre avec Barack Obama. Des discussions auxquelles a participé Mohammed.

Une source officielle arabe a, elle aussi, confié au Washington Post que la nomination de Mohammed en tant qu'héritier se ferait probablement.

«Voyons les choses en face. Il est le fils du roi. Les chances sont grandes pour qu’il soit le prochain» a-t-il déclaré.

Du côté du pouvoir saoudien, on ne se presse pas de commenter l’affaire. Certains, comme le journaliste Jamal Khashoggi, directeur d’Al Arab television, mettent même en doute l’authenticité de la lettre : «Je connais un prince qui échange toujours des documents avec moi. Cette lettre n’a pas circulé. J’ai toujours mes doutes».

Les prochains mouvements sur l’échiquier de sable saoudien apporteront sûrement leur oasis d’éclaircissements.