Tout est de la faute d’el-Assad ! Et les États-Unis n’ont aucune part de responsabilité dans le conflit syrien. Telle est la position du département d’État américain exprimée par son porte-parole John Kirby, ex-amiral de l’armée étatsunienne, lequel a rejeté la responsabilité de l’existence même de Daesh sur le président syrien.
La position catégorique de Washington est invariable, répétée inlassablement comme un mantra : «Il [Assad] est la raison pour laquelle les groupes terroristes comme Daesh sont apparus […] Le régime d’el-Assad a permis aux groupes comme Daesh de se développer et se renforcer en Syrie» a-t-il souligné reprenant, la position habituelle des États-Unis.
Mais si tout est bien de la faute d’el-Assad, comment expliquer qu’un rapport de la Defense Intelligence Agency, datant de 2012, montre que des responsables américains savaient que la majorité de l’opposition soi-disant «modérée» qui a déclenché la guerre civile était composée d’extrémistes ? Washington les a tout de même soutenu, pour renverser el-Assad et c’est ensuite que Daesh est apparu.
Même si les États-Unis tiennent el-Assad pour responsable de tout, difficile de nier le fait que les terroristes possèdent de l’équipement américain pris aux rebelles «modérés». Cependant, le porte-parole s’est refusé à répondre à une question sur la mesure dans laquelle une faute des États-Unis, de leurs alliés et de leur politique de renversement des régimes, aurait pu déstabiliser la situation au Moyen-Orient et provoquer l’apparition de Daesh : «Je ne vais pas légitimer cette question en y répondant» a-t-il sèchement déclaré.
Apparemment, l’intervention occidentale en Libye qui a totalement déstabilisé le pays, n’est pas remise en cause quant à la situation en Irak, dont une grande partie est désormais contrôlée par Daesh, elle n’aurait fait que s’améliorer depuis l’invasion du pays par les forces internationales. Pour Washington, le chaos qui règne au Moyen-Orient et a provoqué la crise des réfugiés – la plupart venant de Syrie et de Libye – en Europe, n’est pas lié aux actions de l’Occident.
La lutte contre Daesh ? Sans el-Assad !
La situation en Syrie, dont environ la moitié du territoire est contrôlée par l’État islamique, est catastrophique. Mais Washington exclut toujours la possibilité d’une lutte commune avec Bachar el-Assad contre les terroristes en déclarant que ce n’est pas «une stratégie de victoire» et que le président syrien n’est pas un «partenaire de Washington» alors que John Kerry avait auparavant dit qu’il «avait apprécié la décision de la Syrie de se défaire des armes chimiques» et qu’il espérait que cette tendance à la coopération «continuerait».
En ce qui concerne une nouvelle coalition internationale contre Daesh proposée par le président russe Vladimir Poutine, qui comprendrait toutes les parties, y compris le gouvernement légitime syrien, l’opposition et les Kurdes, le département d’État a réfuté cette idée en affirmant qu’on n’en a pas besoin «…quand 62 nations sont engagées et ont un impact».
On ne sait pas précisément de quel « impact » parle John Kirby, hormis peut-être l’impact financier, attesté par des informations du Pentagone, selon lesquelles les quelque 6 700 raids aériens contre le groupe et les offensives terrestres menées par des forces locales ont déjà coûté 4 milliards de dollars. En revanche, on ne voit actuellement aucun signe d’affaiblissement de Daesh. Au contraire, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a récemment déclaré : «Daesh a progressé de telle sorte qu'il menace à la fois l'Armée syrienne libre et la résistance syrienne dans la région d'Alep mais aussi, derrière l'axe Damas-Homs, le Liban.»
Alors que la coalition échoue à endiguer la progression de Daesh, le gouvernement syrien, selon le département d’État, n’est autorisé à recevoir aucune aide dans sa lutte contre les terroristes et le soutien de la Russie à Damas «isolerait Moscou». Ces déclarations ont été faites à la suite de la déclaration du président Vladimir Poutine confirmant que la Russie accordait une aide militaire au gouvernement syrien contre les terroristes de Daesh et invitait les autres pays à faire de même et à : «…renoncer aux ambitions géopolitiques, laisser de côté politique des doubles standards et l’utilisation directe ou indirecte de certains groupes terroristes pour atteindre ses propres buts conjoncturels, y compris le renversement de gouvernements et de régimes indésirables».
Ce commentaire a fortement déplu aux États-Unis, où l’on déclare que les appels à la mise en commun des efforts «parlent d’eux-mêmes» et que Washington «…ne veut pas que le régime d’el-Assad obtienne quelque soutien que ce soit». » Le porte-parole du département d’État a ajouté : «Nous sommes inquiets de chaque soutien apporté aux capacités du régime d’el-Assad à semer plus de violence dans le pays.» …à la confusion générale des journalistes présents dans la salle de presse.
Nos bombes et les leurs
En refusant de considérer le rôle des bombes américaines dans la déstabilisation de divers pays, John Kirby a plusieurs fois répété que l’utilisation de «bombes artisanales» était une preuve que la présence du dirigeant syrien au pouvoir était inacceptable. A propos de l’afflux de réfugiés syriens en Europe où les programmes sociaux sont plus généreux, Kirby a affirmé : «Ils partent parce qu’ils sont bombardés par des bombes artisanales.»
Ce terme fait référence aux projectiles de technologie rudimentaire, placés dans des fûts ou des conteneurs et largués par avion. Utilisés pour la première fois par Israël en 1948, ces bombes improvisées ont, depuis, été larguées par les États-Unis au Vietnam et, plus récemment, par les forces gouvernementales irakiennes soutenues par les Américains contre les milices sunnites, ainsi que contre des civils, dans les zones contrôlées par l’État islamique.
Pas de solution militaire
Si el-Assad pose un tel problème, a demandé au porte-parole du département d’État le correspondant d’Associated Press, Matt Lee, «…pourquoi les États-Unis ne le renversent-ils pas ? » Kirby a paru surpris par cette question et a répondu que Washington «travaille avec zèle» à une «transition politique en Syrie».
Selon le porte-parole, le président Obama ne veut pas d’une solution militaire au conflit syrien, mais seulement d’une solution politique, et Washington «consacre beaucoup d’énergie pour le faire». La clé pour vaincre Daesh est «une bonne gouvernance» ce qui, d’après Washington, signifie le remplacement des autorités à Damas. Mais, pendant le briefing, il s’est lui-même contredit ayant déclaré : « Il y a des solutions militaires… et nous les appliquons, assez efficacement».
L’amiral stupéfait
Que quelqu’un ne soit pas d’accord avec la politique agressive que Washington mène ? C’est «complètement incroyable» pour John Kirby, ainsi que le fait qu’«…il y ait aujourd’hui des questions insinuant qu’il y a des personnes qui pensent que Bachar el-Assad est bon pour la Syrie et que son mandat continu dans ce pays est une chose saine». De telles questions, pour lui, sont complètement «stupéfiantes».
Le correspondant d’Associated Press, Matt Lee a retorqué que ces questions posées par plusieurs journalistes étaient liées au décalage entre le but déclaré de Washington de combattre Daesh et sa volonté de se débarrasser du gouvernement à Damas, alors que c’est ce dernier qui fait le plus d’efforts contre les terroristes.
Mais le département d’État estime qu’«il y a une insinuation dans ces questions» selon laquelle les États-Unis devraient renoncer à renverser el-Assad, ce que Washington «…ne pense pas, n’a jamais pensé et n’a pas l’intention de changer cette position».