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Vincent Desportes : «L’OTAN est devenue un protectorat américain dirigé par un allié brutal»

Le général de l'armée de terre française Vincent Desportes a développé, pour RT France, son avis et analyse de l'OTAN qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de décrypter les ambitions de l'Europe de la défense.

Illusion de la protection américaine, manque de cohésion et de solidarité, interrogations internes sur la pertinence de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), crise du leadership… A l’occasion des 70 ans d’une Alliance atlantique «en état de mort cérébrale» selon Emmanuel Macron, le général de l’armée de terre française également professeur à Sciences Po et HEC, Vincent Desportes, a développé, pour RT France son analyse critique de l’OTAN avant de décrypter les ambitions de l’Europe de la défense.

«Est-ce que l’OTAN est le meilleur outil ? Ma conviction est que non»

Avant d’engager sa réflexion sur l’avenir de l’OTAN, Vincent Desportes est revenu sur les dysfonctionnements qu'il perçoit actuellement au sein de l'organisation politico-militaire basée à Bruxelles. Selon lui, l’Alliance atlantique «est frappée de deux maux. Le premier est un problème de leadership. L’autre est un problème de solidarité». D’une part les Etats-Unis sont de moins en moins amenés «à participer à la défense des pays de l’Europe» et «ne régulent plus vraiment les différents membres» de l’organisation, estime Vincent Desportes. D’autre part, «certains membres [de l'OTAN] ne se comportent pas comme des alliés fiables» tels les Etats-Unis ou la Turquie, poursuit le général.

La question de la pertinence de l’OTAN, que ce soit pour la France ou pour l’Europe, devient donc primordiale et toujours plus d’actualité. «Est-ce que l’OTAN est, dans sa forme actuelle, le meilleur outil ?», se demande l'expert avant d'y apporter une réponse négative. En effet, selon lui, «l’OTAN est devenue un protectorat américain dirigé par un allié souvent brutal, parfois méprisant, qui va imposer un certains nombres de conditions commerciales, légales, etc. à ses membres en échange de leur protection».

Néanmoins, «l’Europe est un continent mature, composé de nations anciennes, qui doit enfin trouver son autonomie stratégique […], politique, opérationnelle et capacitaire», apprécie Vincent Desportes. Avant de continuer : «l’Europe doit être capable d’engager les combats qu’elle a à [mener]» et «doit être capable de conduire une politique étrangère qui puisse être différente de celle des Etats-Unis».

«L’avenir de l’Europe n’est pas transatlantique, il est eurasiatique»

Depuis la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS en 1991, l’OTAN a perdu sa raison d’être et ses objectifs. Toutefois, même si «l’ennemi officiel, aujourd’hui, de l’OTAN est le terrorisme», d'après le professeur, il semblerait qu’elle ait «des ennemis officieux». «Il est clair que l’OTAN […], s’étant consolidée dans sa lutte contre le pacte de Varsovie, il y a un gène qui est en elle et qui tend en permanence à ramener cette organisation vers son ancien adversaire. Il est probable que les tensions qui existent aujourd’hui entre la Russie et l’OTAN, sont pour une bonne part le fait de l’OTAN même et des Etats-Unis», considère Vincent Desportes.

Pourtant, tout comme «les Etats-Unis [qui] sont en train de se tourner vers leur ouest […], l’avenir de l’Europe n’est pas transatlantique, il est eurasiatique. Il faut donc que l’Europe arrive à vivre dans des conditions raisonnables avec son grand allié, son grand voisin, qui est la Russie», évalue l'expert en affaires internationales et militaires. En effet, «la Russie fait partie de l’Europe, elle a toujours fait partie de l’Europe», poursuit-il. Qui plus est «la France, en particulier, a toujours eu une histoire avec la Russie, une amitié avec la Russie, même si on s’est chamaillé quelques fois comme on s’est chamaillé avec tous les pays d’Europe. Nous avons intérêt à bâtir ensemble notre avenir», estime-t-il.

«L’Europe doit être souveraine, donc elle doit posséder la puissance»

Vincent Desportes nous apporte également son avis sur l’Europe de la défense. Le général insiste sur la nécessité pour l’Europe de regagner sa souveraineté par la mise en place d’une armée européenne, notamment pour ne plus subir «l’extraterritorialité du droit américain [et] les règles commerciales qui nous sont imposées» par Washington.

Le général français appelle également les pays européens à se réveiller car, selon lui, «l’OTAN est un marchand de sable. Elle endort les pays européens en leur disant dormez braves gens, nous, les Etats-Unis, nous vous protégeons». Avant de poursuivre : «aujourd’hui, le parapluie américain, de toute évidence, n’est plus fiable».

Toutefois, l'expert considère que l'armée européenne est encore un mirage : «nous n’en sommes pas à créer une armée européenne. Nous en sommes extrêmement loin.» Selon son analyse, «pour qu’une nation soit entendue […], il faut qu’[elle] possède la puissance. La grammaire géopolitique du 21e siècle, c’est la souveraineté et la puissance».

Ainsi, pour que l’Europe soit souveraine et entendue lors de négociations internationales, «elle doit posséder la puissance», indique le professeur. «Pourquoi est-ce que la France, aujourd’hui, pèse d’avantage que l’Europe ? Parce que la France a une puissance militaire et qu’elle peut se déployer. Cette puissance militaire, il faut que l’Europe la construise de manière à pouvoir être entendue», conclut Vincent Desportes.

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