Comme le rapporte l'agence Tass, ce 26 novembre, le ministère russe de la Défense a fait savoir, dans un communiqué de son service de presse, qu'il disposait d'informations selon lesquelles des Casques blancs (organisation se présentant comme humanitaire mais accusée, par Damas et Moscou, de proximité avec des groupes terroristes) prépareraient conjointement avec des militants de Hayat Tahrir al-Sham (organisation djihadiste formée en janvier 2017 par la fusion de plusieurs groupes rebelles islamistes, dont les terroristes du groupe Front Fatah al-Cham, ex Front al-Nosra), des provocations impliquant l'utilisation d'armes chimiques dans la province d'Idleb.
Des habitants «sélectionnés» ?
«Des combattants de [...] Hayat Tahrir al-Sham, conjointement avec l'organisation des Casques blancs, prévoient de mener des provocations impliquant des raids aériens mis en scène, et l'utilisation d'armes chimiques dans les parties peuplées de la zone de désescalade d'Idleb», peut-on lire dans le communiqué du ministère qui précise que des combattants auraient «sélectionné» des habitants afin de participer à «des tournages de scènes décrivant les conséquences des frappes aériennes et de l'utilisation d'agents toxiques».
Mentionnant des informations obtenues par des sources sur place, le ministère russe de la Défense explique ainsi avoir été informé qu'«un groupe de personnes non identifiées et trois camions transportant divers conteneurs de produits chimiques inconnus sont arrivés [à Sarmada], à environ 30 kilomètres au nord-est d'Idleb», selon l'agence Tass. «L'un des véhicules transportait du matériel vidéo professionnel et des fragments d'obus aériens et d'artillerie portant des marques d'identification soviétiques et russes», précise encore le communiqué de presse de la Défense russe.
Selon les informations avancées par le ministère, «des images falsifiées» pourraient être diffusées prochainement sur les réseaux sociaux, mettant notamment en avant «des installations civiles détruites lors de frappes militaires», ainsi que «l'utilisation d'armes chimiques dans le gouvernorat d'Idleb», en partie contrôlé par les djihadistes de Hayat Tahrir al-Sham. Le communiqué précise que ces images pourraient donc être présentées comme «preuves de crimes commis par le gouvernement syrien et par les actions des forces aérospatiales russes dirigées contre des civils».
Moscou a, à plusieurs reprises, accusé divers groupes rebelles islamistes, de préparer avec le concours des Casques blancs des provocations impliquant des armes chimiques pour ensuite en accuser l'armée syrienne. Le 1er novembre déjà, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova, citant des sources gouvernementales syriennes, accusait les Casques blancs de collaborer avec les terroristes afin de mettre en place «de nouvelles provocations chimiques en Syrie». «Leur objectif est évident : saper le processus de paix pays», ajoutait-elle, selon RIA Novosti.
Le rapport de l'OIAC fragilisé
Les informations du ministère de la Défense russe font écho aux déclarations d’un journaliste de la BBC, Riam Dalati, qui, plus tôt cette année, soutenait que les images de l'hôpital de Douma filmées en avril 2018 lors d'une attaque chimique présumée – reprises en boucle par les médias du monde entier et qui avaient donné lieu à des frappes occidentales contre des infrastructures syriennes – n'étaient qu'une «mise en scène» organisée par le groupe islamiste Jaïch al-Islam.
«Après presque six mois d’enquêtes, je peux prouver sans aucun doute que la scène de l'hôpital de Douma a été mise en scène. Aucun décès n'est survenu à l'hôpital», expliquait-il alors dans une série de messages sur Twitter. «Ils ont coopté des militants, des médecins et des humanitaires par la peur et l'intimidation», avait-il alors témoigné.
Si Riam Dalati a précisé qu'il demeurait convaincu qu'une attaque avait bien eu lieu à Douma le 7 avril 2018, il estimait néanmoins qu'il n'y avait jamais eu d'usage de gaz sarin et préférait attendre les conclusions de l'OIAC pour savoir si du chlore avait été utilisé.
Dans son rapport officiel final publié en mars 2019, l'organisation internationale a finalement fait état de «motifs raisonnables pour penser qu'un agent chimique toxique a été utilisé comme arme» à Douma, mais l'organisation ne désignait pas de responsable, car cela échappait à ses compétences, à l'époque. Néanmoins, l'assertion présentée dans le document, selon laquelle des barils de chlore auraient été largués depuis les airs, laissait peu de doute quant à celui qui était pointé du doigt : Damas, qui a toujours nié avoir employé des armes chimiques lors du conflit.
Pourtant, la version présentée officiellement par l'OIAC (que Moscou et Damas ont dénoncée comme «politisée») a été, à plusieurs reprises, fragilisée par divers témoignages. Dernière révélation en date, WikiLeaks a dévoilé, le 23 novembre 2019, un courriel daté de juin 2018 dans lequel un membre de la mission d'enquête de l’OIAC à Douma alerte son supérieur quant à une réécriture trompeuse, selon lui, des faits observés sur le terrain, dans une version préliminaire corrigée du rapport.
«Le rapport initial soulignait délibérément le fait que, bien que les bouteilles aient pu être à l'origine de la libération suspectée de produits chimiques, les preuves étaient insuffisantes pour l'affirmer [...] C'est un écart majeur par rapport au rapport d'origine», s'indignait par exemple l'auteur de l'e-mail après avoir fustigé «un parti pris involontaire» introduit dans la version corrigée du texte.