Faut-il dissocier l'œuvre de l'artiste ? La question se pose aujourd'hui plus que jamais : après les tentatives de faire interdire des projections du nouveau film de Roman Polanski, le New York Times propose d'annuler purement et simplement une rétrospective consacrée à Paul Gauguin, ayant lieu actuellement à la National Gallery de Londres.
Interrogée par le quotidien dans un article intitulé «Est-ce le moment d'annuler Gauguin ?», la cofondatrice du musée en ligne girlmuseum Ashley Remer, estime en effet que Paul Gauguin n'est rien de moins qu'un «pédophile arrogant, surestimé et condescendant». Peintre impressionniste français fasciné par le mythe du bon sauvage, Paul Gauguin a notamment vécu à Tahiti entre 1891 et 1893.
Pédophile et colonialiste
C'est sur cette île de la Polynésie qu'il a eu des relations à caractère pédophile – certaines de ses partenaires sexuelles n'étant âgées que de treize et quatorze ans – qui auront une influence sur son œuvre. «Gauguin a eu des relations sexuelles répétées avec des jeunes filles, épousant deux d'entre elles et engendrant des enfants», s'offusque le New York Times dans son article.
L'artiste a en effet mis en scène dans de nombreuses peintures ces jeunes filles dénudées et prenant des poses lascives. Mais Ashley Remer estime que si Gauguin avait été photographe, son œuvre tomberait sous le coup de la loi et n'aurait donc jamais été exposée.
Element aggravant selon le New York Times, la pédophilie de l'artiste relèverait d'une forme de comportement colonialiste. «Nul doute que Gauguin a tiré parti de sa position d’Occidental privilégié pour profiter de toutes les libertés sexuelles dont il disposait», est-il ainsi écrit dans l'article.
Gauguin, Polanski, Woody Allen, vers un retour de la censure ?
La frontière avec les accusations de racisme est alors ténue, et le New York Times, qui a fait de la politique d'identité un cheval de bataille, ne va pas hésiter à flirter avec. Le quotidien a ainsi souligné les critiques lancées contre Paul Gauguin par la National Gallery d'Ottawa, qui lui a récemment reproché l'emploi d'un «langage indélicat». En cause, les termes de «sauvage» ou de «barbare», parfois employés par l'artiste pour désigner les Tahitiens. Paul Gauguin avait ainsi baptisé l'une de ses sculptures «masque de sauvage».
Alors, peut-on encore aujourd'hui «distinguer l'homme de l'artiste» ? Ou faut-il censurer les œuvres dont les auteurs ont commis des crimes, voire simplement tenu des propos controversés ? L'époque semble pencher pour la seconde option. Des projections en France du dernier film de Roman Polanski ont ainsi été perturbées par des militants féministes, suite à une nouvelle accusation de viol à l'encontre du cinéaste. Aux Etats-Unis, le dernier film de Woody Allen a été largement boycotté par les salles, là aussi suite à des accusations de pédophilie et d'inceste.
Si ces deux exemples sont extrêmes par le caractère des faits reprochés aux artistes concernés, il est à noter que le couperet de la censure peut s'abattre pour moins que cela. En 2018, la réédition des pamphlets de Céline par Gallimard avait été abandonnée suite aux pressions de Serge Klarsfeld, qui reprochait aux textes leur contenu antisémite. Un an auparavant, en 2017, le journal Libération s'était attaqué à Blow up, classique de Michelangelo Antonioni, accusé de sexisme.
Controversé, Paul Gauguin n'en demeure pas moins l'un des peintres les mieux cotés sur le marché de l'art. Vendu sept francs à la mort de l'artiste, le tableau Quand te maries-tu ? a été adjugé au Qatar en 2015 pour un montant de 300 millions de dollars, devenant ainsi le deuxième tableau le plus cher de l'histoire.
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