Le phénomène a été largement constaté par la presse, les observateurs publics et les internautes depuis le début de la crise des Gilets jaunes, mais n'avait jusqu'alors fait l'objet d'aucune étude scientifique. La revue médicale scientifique britannique The Lancet a publié le 2 novembre les résultats d'un travail mené auprès de l'ensemble des services d'ophtalmologie des CHU français. A l'issue de ces recherches, les auteurs de l'étude ont pu dresser un bilan relativement détaillé du nombre de blessés et définir la nature de leurs blessures par l'armement non létal de la police et de la gendarmerie.
«Depuis l'introduction des armes dites [sublétales] en France à la fin des années 1990, il n'y a pas eu d'injonction légale de collecter des informations sur les blessures induites par des impacts de projectiles [...] et aucune enquête épidémiologique n'a été planifiée», constatent les auteurs de l'étude, qui précisent n'être soumis à «aucun conflit d'intérêts» dans leurs recherches.
43 blessures à l’œil depuis 2016
Les auteurs de l'étude ont recensé à l'issue de cette enquête 43 blessures causées par des armes non-létales depuis 2016, dont 40 pour les seules années 2018 et 2019, qui coïncident avec le mouvement de contestation des Gilets jaunes. En effet, alors que deux cas ont été recensés en 2016 et un seul en 2017, 25 blessures oculaires sont répertoriées pour l'année 2018 et 15 pour la période étudiée en 2019.
Les descriptions des blessures font froid dans le dos. Neuf personnes ont ainsi été énucléées, apprend-on dans l'article. 25 cas de fractures orbitales sont en outre rapportés, ainsi que 12 cas de fractures faciales et deux cas de lésions cérébrales. Seuls cinq blessés sur les 43 ont conservé une acuité supérieure à 20/100 immédiatement après leur blessure.
A ce jour, ces résultats n’ont pas conduit à un moratoire sur l’utilisation de ces armes
La plupart de ces blessures, précise l'étude, sont dues à des tirs de projectiles de 40 mm (utilisés entre autre avec le lanceur de balles de défense [LBD]), ou à des grenades de dispersion. La plus jeune des victimes est âgée de 15 ans, la plus âgée de 59 ans.
Les auteurs de l'étude, qui n'ont eu accès à aucune information sur les circonstances ayant entraîné ces blessures, expliquent que cette augmentation phénoménale des blessures oculaires «ces 10 derniers mois pourrait être liée à l'utilisation des armes pour le maintien de l'ordre».
«A ce jour, ces résultats n’ont pas conduit à un moratoire sur l’utilisation de ces armes», concluent-ils.
«Ces chiffres n'ont jamais été donnés par [la place Beauveau]. L'Intérieur est capable de nous dire au projectile près combien de LBD ont été tirés dans l'année [...] Mais il est incapable de nous dire la quantité de blessures infligées par les mêmes armes», a confié à France inter le documentariste et auteur David Dufresne, qui s'est fait remarquer pendant le mouvement des Gilets jaunes par son comptage précis des blessés civils.
Blessures au visage
En août dernier, The Lancet avait publié un article consacré aux blessures du visage occasionnées par les balles en caoutchouc, l'étude ayant constaté que la tête était «particulièrement vulnérable» à ce type de projectiles. Les auteurs définissaient alors des fractures multiples caractéristiques des blessures occasionnées par les lanceurs de balles de défense et déploraient des lésions oculaires «extrêmement graves».
Des cours de formation devront être dispensés
«Des cours de formation devront être dispensés pour optimiser les soins initiaux des patients par les services médicaux préhospitaliers», concluaient alors les auteurs, constatant que l’augmentation des violences caractérisant les mouvements sociaux dans le monde allaient mécaniquement entraîner plus de blessés par armes non létales ou sublétales.