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La France change de ligne sur la Syrie, un tournant stratégique ?

En annonçant l'éventualité de frappes aériennes en Syrie contre les positions de Daesh, François hollande a opéré un revirement dans la position française. Une constante cependant demeure, celle du refus de tout déploiement de troupes au sol.

L'annonce ne s'est pas faite dans n'importe quel cadre mais a été réservée à la conférence de presse solennelle qui marque la rentrée politique. 

Depuis le début des frappes de la coalition internationale contre Daesh en Syrie en septembre 2014, la France avait refusé d'y participer. 

Jusque-là, la France avait adopté une ligne qui consistait à ne s'en prendre à Daesh que sur le sol irakien. Le pays avait joint à la coalition dirigée par les États-Unis 13 avions et un navire. Au sein de l’opération Chammal intégrée à la coalition internationale, la France a pu mener jusqu'à 200 frappes sur le sol irakien. 

Mais en annonçant l'éventualité de frappes étendues à la Syrie, il s'agit ni plus ni moins pour Paris du ralliement à la coalition internationale qui bombarde Daesh dans le Nord et l'Est du pays.

Pour le moment, prudent, François Hollande a indiqué que l'aviation française devrait d'abord commencer par des vols de reconnaissance au-dessus de la Syrie, en préalable à des frappes éventuelles contre les positions de Daesh.

La fin du «ni-ni»

L'annonce du Président Hollande correspond donc à une double rupture : celle du statu quo irakien qui limitait l'intervention française à un seul pays et la fin de la doctrine du «ni-ni» : ni Daesh, ni Bachar al-Assad. Selon cette doctrine, lutter contre Daesh aurait pu objectivement renforcer le pouvoir de Bashar al-Assad. En d'autres termes, ne pas intervenir en Syrie pour ne pas aider le pouvoir en place contre les djihadistes.

Plusieurs raisons peuvent expliquer l'abandon de cette doctrine. François Hollande a d'abord semblé lier sa décision à la crise migratoire que connaît en ce moment l'Europe. Selon lui, «c’est Daesh qui fait fuir, par les massacres qu’il commet, des milliers de familles».

Ensuite, la porosité des frontières entre l'Irak et la Syrie, entre lesquelles les combattants de Daesh passent aisément et la progression continue de l'Etat islamique en Syrie ont également joué dans cette décision.

Mais c'est surtout le renforcement de la menace de terrorisme qui a sans doute pesé le plus fort dans ce revirement stratégique. «Daesh a considérablement développé son emprise depuis deux ans», a fait valoir le président.

Les derniers attentats commis en France ont en effet tous un lien avec le djihadisme et certains ont même été revendiqués par l'Etat islamique. Et pour les spécialistes, le terrain central des djihadistes qui s'engagent contre la France n'est pas l'Irak mais la Syrie : «C'est depuis la Syrie, nous en avons la preuve, que sont organisées des attaques contre notre pays», a assuré le président Hollande.

Or si Paris bénéficie d'un partage d'informations militaires sur l'activité de Daesh en Irak, ce n'est pas le cas en Syrie. En autorisant ces vols de renseignements aussi dans ce pays, la France souhaite visiblement également mieux cibler les éléments de Daesh impliqués dans des opérations terroristes sur son sol.

Enfin, certaines sources estiment que le revirement stratégique de François Hollande en Syrie serait dû à l'inquiétude occidentale de voir la Russie s'engager directement dans le conflit syrien. 

Quid du sort de Bachar al-Assad ?

Depuis le début de la guerre civile, Paris avait eu une constante : pas de discussion avec Bachar al-Assad. En août dernier, François Hollande avait estimé que la paix en Syrie passait par la «neutralisation» de son homologue syrien. Ce mot avait alors suscité une vive réaction de Damas qui avait dénoncé une «ingérence flagrante». En 2013, le Président français avait appelé à le «punir» et était même prêt à bombarder la Syrie jusqu'à ce que la volte-face des Etats-Unis repousse cette idée d'intervention militaire.

Jacques Myard, «Pour trouver une solution, il faudra prendre en compte le régime de Bachar al-Assad»

Cependant, lors de cette dernière conférence de presse, François Hollande a légèrement infléchi sa position : «Le départ de Bachar al-Assad est à un moment ou un autre posé dans la transition, et c'est ce que nous devons faire pour qu'il puisse y avoir le rassemblement des Syriens sur une base démocratique». Autrement dit, le départ du président syrien n'est plus un prélable à toute discussion pour trouver une solution au conflit.

Cependant, François Hollande a réaffirmé que «Rien ne doit être fait qui puisse consolider ou maintenir Bachar al-Assad» et que le départ du président syrien «est nécessaire à un moment ou à un autre» pour une résolution de la guerre dans le pays.

Une constante : pas de troupes au sol

François Hollande a exclu tout envoi de «troupes au sol», jugeant qu’il serait «inconséquent et irréaliste» : « Nous n’enverrons pas de troupes au sol » en Syrie, «pas plus que nous le faisons en Irak» a-t-il précisé.

Le risque serait en effet trop important de déclencher ainsi l’engrenage d’un embourbement militaire au sol. Plus encore, l'armée française serait alors seule à se déployer et le risque de devenir une force d'occupation serait aussi envisageable.

Pourtant, certains, au parti les Républicains militent ouvertement pour une telle éventualité. Bruno Le Maire prône ainsi l'envoi d'un nombre de troupes limité au sol tandis que Nicolas Sarkozy plaide pour «un combat sans merci» et préconise d'envoyer des experts au sol pour lutter contre le groupe État islamique.

Quelle légalité?

L'opération Chammal déclenchée en septembre 2014 est décrite par le gouvernement français comme une opération engagée sur demande du gouvernement irakien.

Cette opération en territoire irakien disposait donc, à défaut d'un mandat de l'ONU, d'une justification légale tenant à la demande du gouvernement irakien.

En ce qui concerne le respect de la légalité française, François Hollande a annoncé que le Parlement serait informé de sa décision, en vertu de l'article 35 de la Constitution. Ce dernier pose que «le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention».

Mais qu'en est-il de la légalité internationale ? Sur quelle base poser cette décision de bombarder le territoire d'un pays souverain ?

Autre question soulevée par le revirement stratégique décidé par François Hollande, la question de l'efficacité des frappes aériennes. En effet, les quelque 3 000 frappes aériennes n'ont pas stoppé Daesh dans son avancée en Irak ou en Syrie, les villes de Ramadi, Palmyre et Mossoul peuvent en témoigner. Les seuls défaites véritables qui ont fait reculer l'organisation terroriste ont été infligées par les forces combattantes au sol, kurdes notamment.

En savoir plus : Les raids aériens des USA contre Daesh auraient tué plus de civils que Washington ne l’admet

Autant de questions qui n'ont pas été abordées par le président Hollande mais qui devront trouver des réponses, d'une façon ou d'une autre.