Ce n'est ni à Barbès ni à la Courneuve, où vit une importante communauté algérienne, qu'ils ont posé leurs valises. Non, le choix des hommes politiques et autres hommes d'affaires richissimes algériens s'est plutôt porté sur Neuilly-sur-Seine et l'île Saint-Louis pour investir dans l'immobilier de luxe en région parisienne. C'est ce que révèle une enquête signée Céline Lussato et publiée dans l'Obs le 25 juillet. Elle fait état de plusieurs oligarques algériens ayant investi dans des biens immobiliers de luxe à Paris et sa chic banlieue.
La journaliste assure avoir passé des heures à «consulter les cadastres, les services de publicité foncière et les registres du commerce». D'une longue liste d’oligarques établis en Île-de-France, elle n'a extrait qu’une dizaine de noms, expliquant à cet effet que des «montages minutieux et des prête-noms impossibles à relier formellement aux bénéficiaires effectifs [l']ont souvent empêché[e] d’aller au-delà du faisceau de présomptions». C'est pourquoi la journaliste a décidé de ne publier que «les faits démontrés par des documents».
La liste des hommes politiques algériens cités par l'enquête est longue mais quelques exemples sont édifiants.
Selon cette enquête, c'est par exemple dans l’un des quartiers les plus huppés de Neuilly, face au bois de Boulogne et à deux pas de la Fondation Louis Vuitton, que se trouve la résidence de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui. Celui-ci, après avoir affirmé à la journaliste au téléphone n'avoir rien à se reprocher et accepté de la recevoir a finalement changé d'avis. «Monsieur Bedjaoui n’a aucune raison de vous parler. Ces questions doivent être réglées entre Algériens», lui aurait lancé le bras droit de l'ancien ministre devant l'entrée de l'immeuble haussmannien.
Il a donc refusé d'expliquer comment, selon elle, comment «ses revenus de haut fonctionnaire [en Algérie] lui [auraient] permis d’acheter en 2011 ce très grand appartement à une princesse saoudienne pour 3,45 millions d’euros». Un chiffre qui donne le tournis et qui peut difficilement s'expliquer par un salaire de haut fonctionnaire, aussi élevé soit-il.
Le nom de Mohamed Bedjaoui apparait par ailleurs dans une enquête pour corruption en cours en Algérie comme le rapporte le quotidien El-Watan dans son édition du 24 juillet.
L’ancien ministre algérien de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb est également cité. Directeur de campagne d’Abdelaziz Bouteflika en 2014, il se serait quant à lui établi en bordure de Seine face à Notre-Dame dans un «156 mètres carrés acheté, à son nom, 1 180 000 euros en 2006 – dont 580 000 payés comptant – et estimés aujourd’hui entre 2,5 et 3 millions d’euros».
L'homme âgé de 67 ans y vivrait actuellement cloitré refusant de répondre aux convocations de la justice algérienne. Il est soupçonné d’avoir attribué en échange de pots-de-vin des marchés publics à certains entrepreneurs. Son dossier a été transféré à la Cour suprême et un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre.
Comme le rappelle la journaliste de L'Obs, l’ONG Transparency International place l'Algérie à la 105e place sur 180 pays dans son classement de la perception de la corruption de 2018. Le mouvement de contestation né le 22 février avec des manifestations massives chaque vendredi à travers tout le territoire a mobilisé une population qui a exprimé son exaspération d'un système basé sur la corruption et le détournement des biens publics.
En 2016, les Panama papers révélaient l'acquisition d'un luxueux appartement sur les Champs Elysées, près de l’hôtel Claridge, acheté 860 000 euros par Rym Sellal, la fille, encore étudiante, de l’ancien Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal.
Les hommes d’affaires ne manquent pas non plus à l'appel des riches acquéreurs algériens que révèle l'article : le milliardaire Mourad Oulmi, propriétaire, notamment, de biens dans l’immeuble de l’ancien ministre Bedjaoui à Neuilly, Ayoub Aissiou, patron de la chaîne de télévision Al Djazairia One, ou Issad Rebrab, première fortune d’Algérie apparaissent également.
«Combien de ces luxueux appartements sont des "biens mal acquis", achetés avec de l’argent sale, issu de la corruption [...]? Combien, au contraire, sont simplement le fruit de nombreuses années de travail ?», se demande la journaliste.
Ces propriété parisiennes sont-elle donc le fruit de «commandes publiques surfacturées et celui des rétrocommissions reversées aux politiques qui ont été investis à l’étranger», comme l'explique Djilali Hadjadj, président de l’Association algérienne de Lutte contre la Corruption, dont les propos sont rapportés dans l'article ? Seule une enquête judiciaire pourrait le prouver.