Quatre ans après avoir été propulsé au pouvoir par les Grecs sur la promesse de leur offrir d'autres perspectives que les programmes d'austérité imposés par la Troïka (l'alliance de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international pour superviser les plans de sauvetage dans l'UE), Syriza s'apprête à défendre son bilan face aux électeurs le 7 juillet, à l'occasion d'élections législatives anticipées.
Des élections convoquées par le Premier ministre Alexis Tsipras trois mois avant la fin de son mandat, à la suite de sa défaite d'une ampleur inattendue aux européennes, près de 10 points derrière le parti conservateur Nouvelle Démocratie. Et si l'on en croit les sondages, il y a de fortes chances que cet écart ne fasse que s'accroître en faveur de la droite sur la scène nationale grecque.
Porteur de l'espoir d'opposer une autre politique à l'implacable logique d'austérité des marchés financiers – espoir qui a résonné à travers toute l'Europe, bien au delà des frontières du berceau de la démocratie –, pourquoi Syriza se retrouve aujourd'hui dans cette position ?
Syriza contre la Troïka
Arrivé au pouvoir en janvier 2015, au cœur d'une crise qui faisait trembler l'Union européenne jusque dans ses fondations, Alexis Tsipras entame son mandat avec la ferme intention d'infléchir la position des bailleurs de fonds d'Athènes.
A cette époque, la crise qui touche Athènes (dette publique d'environ 177% du PIB fin 2014 et déficit budgétaire de plus de 13% du PIB) menace de s'étendre aux autres pays de la zone euro. Pour y répondre, la Troïka enchaîne depuis 2010 des plans d'aides d'urgence, conditionnés à des mesures d'austérité toujours plus strictes : baisse du salaire minimum, réforme du marché du travail, augmentation des impôts, baisse des dépenses publiques, ou encore privatisations en tout genre.
Fort d'un mandat populaire indiscutable (149 sièges sur 300), Alexis Tsipras compte défier les diktats de la Troïka en lui opposant la volonté de tout un peuple, asphyxié par ces mesures. Le chef du gouvernement convoque ainsi un référendum, le 5 juillet 2015, lors duquel le peuple grec rejette à une large majorité (61%) le nouveau plan d'austérité imposé par les créanciers. «A ce moment là, [Alexis] Tsipras espérait qu'avec le référendum, les institutions, la Troïka, auraient compris le désir du peuple grec, et auraient pris en compte les résultats», explique à RT France l'eurodéputé de Syriza Stélios Kouloglou.
«Alexis Tsipras n'avait pas d'autre solution que de capituler»
Mais la Troïka n'est pas décidée à abandonner un pouce de terrain, bien au contraire. «La seule décision [de la Troïka] a été de punir la Grèce pour qu'aucun autre pays n'ose demander de changements au programme d'austérité imposé, c'était clair», poursuit Stélios Kouloglou. Face à cette impasse, le dirigeant est confronté à un choix : «Soit procéder à un compromis, très douloureux, soit démissionner et devenir le héros de toute l'Europe "progressiste"». D'après l'eurodéputé, le Premier ministre grec, pas prêt à aller jusqu'au «Grexit», n'envisage pas cette seconde option. «Alexis Tsipras n'avait pas d'autre solution que faire un compromis, que de capituler. Il s'agissait d'une capitulation par rapport aux promesses», reconnaît-il.
Dès lors, les résultats du référendum de 2015 ne seront pas respectés par Syriza, qui accepte de mettre en œuvre le plan de la Troïka. Alexis Tsipras convoque des élections anticipées, arguant qu'il tentera d'appliquer le mémorandum de façon la plus juste possible envers les plus démunis. «Et ça il l'a fait, le gouvernement l'a fait. En 2015, 2,5 millions de personnes n'avaient aucun accès à la sécurité sociale, aux hôpitaux, aux médicaments. Ce droit a été donné à tout le monde», souligne Stélios Kouloglou.
Plier face à la Troïka, un prix indispensable à payer ?
En août 2018, après avoir suivi le plan de la Troïka à la lettre, la Grèce est sortie de sa tutelle mais demeure sous son étroite surveillance et le demeurera de nombreuses années encore, la dette publique de 180% du PIB restant un fardeau énorme. Le chômage, de 26% à l'arrivée de Syriza pouvoir est passé à 18%, mais reste le plus fort de la zone euro. Le salaire minimum a augmenté de 11% à 650 euros sous le gouvernement Tsipras, mais il était de 750 euros avant la crise. Des avancées modestes, qui n'ont été possibles qu'en courbant l'échine face à la Troïka, d'après Stélios Kouloglou : «Oui c'est un prix à payer.»
Ce renoncement n'a visiblement pas été digéré par l'électorat grec, et explique – en partie – le net recul de Syriza sur la scène politique, selon Stélios Kouloglou. «On a essayé, mais les citoyens voulaient d'avantage. Ils n'aiment pas les politiques d'austérité et ils croient à un miracle», fait-il valoir. Pourtant, contrairement à Syriza il y a quatre ans, Nouvelle Démocratie, qui caracole en tête des sondages, ne promet pas de renverser la Troïka et défend des idées libérales. Seule promesse du parti conservateur, baisser les impôts, ce que Syriza, contrainte par la Troïka, n'a jamais été en mesure de faire. L'eurodéputé estime en outre que Nouvelle Démocratie surfe sur l'impopularité des accords de Prespes (portant sur le nom de la Macédoine) auprès d'une partie de l'électorat.
Après son court passage au pouvoir, le parti d'Alexis Tsipras lui, ne se berce plus d'illusions. Des anciens du PASOK, le parti socialiste grec qui s'est effondré il y a quatre ans, ont récemment rejoint le mouvement, qui semble amorcer un virage au centre-gauche. «Si les partis socialistes reviennent à une politique de gauche, pourquoi ne pas collaborer, ou unir nos forces pour affronter la montée de l'extrême droite, le climat et tous les autres défis ?», s'interroge à ce propos Stélios Kouloglou, qui estime pourtant que Syriza n'est pas en train de devenir un parti social démocrate. Il faut dire que l'eurodéputé juge sévèrement ces derniers, dont la chute en Europe est selon lui la conséquence directe de la trahison de leur électorat.
Difficile pourtant de ne pas dresser un parallèle avec la situation actuelle de Syriza, d'autant que Stélios Kouloglou estime que «tout le monde de la gauche ou de l'ancienne gauche progressiste doit appliquer le même programme». A savoir insister sur les questions sociales, de démocraties, de justice ou encore établir une politique pour sauver l'environnement. Le tout avec un autre point commun : «Il n'y a plus le paradis à promettre.»
Frédéric Aigouy