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Une fausse info sur la mort de soldats russes en Ukraine enflamme les médias occidentaux

Un article de Forbes citant un site douteux qui évoque des soldats russes morts en Ukraine a déclenché une tempête sur Twitter, certains évoquant la preuve d'une présence russe en Ukraine, d'autres parlant d'une intox. RT a décidé d'enquêter.

Un collaborateur de Forbes, Paul Roderick Gregory, a publié un article mercredi dernier citant une source Web russe appelée «Delovaya Jizn» («Le monde des affaires» NDLR), qui affirme révéler «les chiffres officiels des soldats russes tués ou blessés dans l'est de l'Ukraine». 

L'article, daté de Mars 2015 et intitulé «Les augmentations de salaire pour les militaires en 2015» a été modifié, et l'information essentielle retirée, après la publication de ForbesUne copie de l'original a cependant été sauvergardée par Google.

Le cache montre que le site Web, qui contient des articles sur les finances russes, des marchés et des loisirs, a affirmé que le gouvernement russe avait payé une compensation financière aux soldats russes qui «ont participé à des actions militaires en Ukraine orientale».

Sans citer de source, l'article prétendait qu'à compter du 1er Février 2015, plus de 2 000 familles de soldats tués en Ukraine avaient reçu une compensation de 3 millions de roubles (environ 44 000 euros). Les familles des blessés pendant une action militaire auraient reçu un demi-million de roubles (environ 22 000 euros). L'article ajoute que 3 200 soldats blessés au combat avaient reçu une compensation de 1 800 roubles pour chaque jour passé dans la zone de conflit. 

Le collaborateur Forbes a accusé «les censeurs russes» de s'être «empressé de retirer les informations compromettantes».

L'article de Forbes a été repris par d'autres médias occidentaux et de nombreux journalistes indépendants. The International Business Times a rapporté que dans l'article de Delovaya Jizn «les chiffres avaient été publiés accidentellement».

Un article de The Independent a qualifié mercredi Delovaya Jizn de «site d'information respecté en Russie», et a cité le chef du programme Russie et Eurasie à Chatham House, James Nixey, qui a dit que le rapport est un «clou dans le cercueil» qui prouve que la Russie est engagée dans une action militaire en Ukraine.

Un autre média, Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE / RL), a affirmé qu'il avait reçu une réponse d'un certain Anatoly Kravchenko de Delovaya Jizn, qui a déclaré que le site avait «reçu les chiffres des victimes de la part des familles de militaires morts ainsi que 'des informations internes' du Ministère de la Défense russe». Cependant, ils ont ajouté que le représentant du site avait «refusé d'identifier les sources».

Des responsables occidentaux, y compris deux anciens ambassadeurs américains en Russie et en Ukraine ainsi que l'ambassadeur américain à l'OSCE, ont également retweeté le rapport.

La publication a déclenché une véritable tempête sur Twitter, de nombreux journalistes occidentaux, chercheurs, analystes et think-tanks donnant leur pleine confiance à la source.

Cependant, à un certain point, la tempête médiatique s'est arrêtée. Leonid Berchidsky de Bloomberg a conclu que le rapport initial de Delovaya Jizn était faux, s'interrogeant notamment sur l'URL du site, «Bs-life.ru», et mettant en lumière une erreur grammaticale («v Ukraine» au lieu de «na Ukraine» «dans l'Ukraine» au lieu de «en Ukraine»).

La journaliste d'AP Nataliya Vasilyeva a souligné qu'il était très facile de relayer n'importe quelle fausse information sur le web. 

«La facilité à répandre toute sorte de rumeurs dans le monde numérique est étonnante» écrit-elle.

«Où était l'éditeur en ligne de Forbes quand cette histoire a été publiée ? Pourquoi personne ne s'est soucié de vérifier les sources ? C'est cela la vraie question» a-t-elle conclu.

En effet, l'organisme russe de surveillance des médias d'Etat, «Roscomnadzor», dispose de quatre sources de médias inscrits à ce nom sur son site internet. Tous sont répertoriés comme étant des publications imprimées - des journaux ou des magazines. Aucun média électronique n'y est mentionné.

Par ailleurs, le site Delovaya Jizn (bs-life.ru) ne contient aucune référence à une édition imprimée ou un abonnement de messagerie. En outre, il ne précise pas les identités de son personnel, son propriétaire ou fondateur, ou toute autre information de contact, mais propose uniquement de remplir un formulaire de réponse en ligne.  

RT a tenté d'entrer en communication avec la publication par les numéros de téléphone recueillis par le biais de sources ouvertes sur le web, mais n'a reçu aucune réponse.

Ilya Petrenko de RT s'est également rendu à l'adresse moscovite répertoriée sur le web et où est censé se trouver le siège de Delovaya Jizn, mais il n'y a trouvé aucun bureau. 

Cependant, après l'envoi d'une demande via un formulaire en ligne, RT a obtenu une réponse d'un certain Anatoly Kravchenko - le même nom que celui utilisé dans les rapports des médias occidentaux - se présentant comme «représentant» de Delovaya Jizn.

Selon ses déclarations, l'article original en question a été écrit en février et aucun ajout n'y avait été apporté jusqu'au 23 août dernier. Mais surtout, à aucun moment dans l'article original il n'était question de «présence de militaires [russes] en Ukraine».

«Le 23 Août, la rédaction a reçu des courriels demandant des éclaircissements sur les informations contenues dans l'article, notamment sa dernière partie. C'est ainsi que nous avons découvert que le site avait été piraté... un de nos éditeurs a ensuite supprimé la partie piratée», a déclaré Anatoly Kravchenko.

Il a ajouté que le site avait été piraté dans la nuit du 22 au 23 Août à partir d'une adresse IP enregistrée à Kiev.

Il a aussi souligné que le site d'information Delovaya Jizn «n'a pas d'orientation politique et ne supporte aucun pouvoir politique en Russie».

Si RT n'a pas pu immédiatement confirmer l'identité du contact, l'absence de sources claires n'a visiblement pas empêché les organes de presse occidentaux de citer des revendications non vérifiées.

Il ne s'agît pas du premier exemple de fuite de fausses informations liées au conflit ukrainien sur le web. Cependant, peu de ces «fuites» atteignent généralement les grands médias. 

Dans un des cas, l'ambassadeur américain en l'Ukraine Geoffrey Pyatt avait posté des images sur son fil Twitter en Septembre 2014. Les photos, qui selon lui montraient des exercices militaires américano-kiéviennes en Ukraine, avaient déjà été publiées en Juillet 2014 et en Octobre 2013.

Dans un autre cas en Avril dernier, Pyatt avait affirmé que l'armée russe continuait d'étendre sa présence dans l'est de l'Ukraine. En guise de preuve, il avait posté une photo d'un système de défense antimissile Buk-M2 qui, selon lui, stationnait en Ukraine. Il s'était avéré qu'il s'agissait d'une photo vieille de deux ans et qui provenait d'un spectacle aérien dans la région de Moscou.