Pour la troisième fois en moins de quatre ans, les électeurs espagnols sont appelés aux urnes, le 28 avril, afin d’élire les 350 députés du Congrès ainsi que 208 des 266 sénateurs, le tout dans un contexte d’incertitude politique. En effet, le risque de blocage parlementaire reste encore et toujours d’actualité. Pedro Sanchez, 47 ans, chef du gouvernement sortant, appartenant au PSOE (socialiste), devrait rencontrer de réelles difficultés à nouer des alliances en vue de la constitution d’une coalition, aucun parti n’étant en mesure, d’après les récents sondages, d’obtenir une majorité au Congrès des députés (176 sièges).
Même s’il reste le favori des enquêtes d’opinion, celui qui a remplacé Mariano Rajoy en juin 2018, après une motion de censure soutenue par Podemos, vient de perdre le soutien des séparatistes catalans lors du dernier vote du budget. Ce revirement l'a contraint à convoquer de nouvelles élections. Par ailleurs, l’arrivée probable du parti Vox (classé à l'extrême-droite de l'échiquier politique par les commentateurs) au parlement pourrait être un facteur déterminant quant au choix du nouveau chef du gouvernement, laissant planer le doute quant à une alliance avec le Partido Popular (PP, classé à droite) et Ciudadanos – la formation de centre-droit est en effet courtisée par le PSOE.
Quelle formule pour gouverner ?
Etant donnée la puissance des forces en présence, il semble, d’après les prévisions du Centre de recherches sociologiques (CIS), que personne ne sera en capacité de gouverner seul au soir des élections, obligeant le vainqueur à former une coalition. Le PSOE obtiendrait entre 123 et 138 sièges, auxquels pourraient s’ajouter ceux de Podemos (33 à 41 sièges) ainsi que ceux de l’ERC (17 à 18 sièges), la gauche républicaine de Catalogne, atteignant ainsi la barre des 176 sièges.
A droite, le PP est crédité de 66 à 76 sièges et Ciudadanos (centre-droit) de 42 à 51. Même en y ajoutant, dans un scénario qui apparaît très peu probable au vu des estimations, les sièges du parti nationaliste Vox (29-37), cette coalition ne serait pas en mesure d’atteindre une majorité. Le spectre d’un blocage parlementaire resurgit donc. Une constante depuis les élections générales de décembre 2015, qui avaient marqué la fin du bipartisme dans la république ibérique avec l’apparition de Podemos et Ciudadanos.
Néanmoins, la délimitation des alliances potentielles n’est pas si claire. De son côté, le chef du gouvernement socialiste n’a pas voulu écarter une union avec les libéraux de Ciudadanos malgré le refus exprimé par ces derniers. Le 25 avril, il a déclaré à la télévision publique espagnole, interrogé sur cette potentialité, que son «engagement [était] de parler avec tous les partis politiques au sein de la démocratie». Certains sondages évoquent par ailleurs la possibilité que le PSOE et Ciudadanos atteignent ensemble les 176 sièges. Ces deux partis avaient passé un accord en 2016 pour tenter d’investir Pedro Sanchez, sans succès. Mais depuis, le climat s’est tendu entre les deux formations. Ciudadanos s'étant notamment allié au PP et à Vox afin de chasser les socialistes du pouvoir dans leur fief d’Andalousie lors des élections régionales de 2018.
Pablo Casado, président du PP, a affirmé le 25 avril dans les colonnes du quotidien El Mundo : «Je suis sûr que si Sanchez et Rivera totalisent [assez de sièges pour former une majorité], ils vont s’allier à nouveau.» Pablo Iglesias, leader de Podemos, qui cherche à former une coalition avec le PSOE, a pour sa part regretté un manque de «clarté» de la part du chef du gouvernement. Albert Rivera, président de Ciudadanos, également député, répète sa volonté de gouverner avec le PP. Ce dernier déclarait le 15 février : «Le gouvernement Frankenstein est mort, mais Sanchez le ressuscitera s'il le peut. C'est pourquoi nous devons remplir les urnes avec des votes orange [la couleur du parti].»
Vox en force
Invité surprise de ces élections générales, le parti nationaliste Vox espère entrer en force au parlement national. Inexistante dans les sondages il y a un an encore, la formation de Santiago Abascal, ancien militant du PP de 43 ans, a réussi un véritable tour de force lors des élections régionales de décembre dernier en Andalousie, en recueillant 11% des voix, soit 12 députés régionaux, mais surtout en aidant le PP et Ciudadanos à bouter les socialistes hors de leur bastion historique. Vox espère répéter cette performance au niveau national.
Très méfiant vis-à-vis des médias, le parti, fondé en 2013, est crédité d’environ 10% des opinions de vote et d’une trentaine de sièges. Vox, qui compte parmi ses candidats des généraux à la retraite défenseurs du franquisme, à l'instar d'Agustín Rosety Fernández de Castro, tient un discours très dur sur l’islam, le féminisme ou l’immigration et s’oppose catégoriquement au mariage homosexuel, à l’euthanasie ou à l’avortement. D’après Jorge del Palacio, professeur d’histoire des idées politiques à l’université Rey Juan Carlos de Madrid, cité par l’AFP, le parti est «capable de capitaliser [sur la colère des gens] parce que la crise est identitaire», quand Podemos s’était fait connaître en 2015 et 2016 dans une «crise [qui] était économique».
[Nous devons vaincre les] traîtres qui sont au gouvernement et soutiennent tous les ennemis de l'Espagne.
Soutenu par Steve Bannon, Vox prône l’interdiction des partis séparatistes et milite pour une recentralisation de l’Espagne. Parmi les électeurs ciblés durant la campagne, les chasseurs et plus globalement le monde rural mais aussi les déçus de la politique. «Nous avons travaillé toute notre vie. Ca, ce ne sont pas des mains de politicien», soupire un ancien électeur socialiste de 38 ans à l’AFP.
Santiago Abascal a pour sa part appelé ses sympathisants à vaincre les «traîtres qui sont au gouvernement et soutiennent tous les ennemis de l’Espagne». Ce sera en tout cas la première fois depuis la mort de Franco, en 1975, qu’un parti d’extrême droite entre au parlement.
Corruption, chômage et Catalogne
Trois principales préoccupations se sont dégagées durant cette campagne, en premier lieu desquelles le chômage. Dans un pays qui compte 17,7% de sans emploi, selon l’Institut national de la statistique (INE), soit 3,35 millions de personnes, cet indicateur revêt une importante portée politique. Deuxième plus mauvais élève d’Europe, devant la Grèce, l’Espagne compte en outre de très nombreux travailleurs précaires. Ils sont 4,2 millions en contrat temporaire, un record sur le Vieux continent.
Viennent ensuite la corruption et la fraude, thèmes fondamentaux pour 33,3% de la population. Rappelons qu’une trentaine de membres du PP ont été condamnés en mai 2018 pour corruption à des peines allant jusqu’à 33 ans de prison pour Luis Barcenas, ancien trésorier du parti, jetant l’opprobre sur toute la classe politique.
Enfin, le devenir de la Catalogne risque d’être au centre des discussions. Plus d’un an et demi après la tentative de sécession de la région, en octobre 2017, Pedro Sanchez se retrouve désormais bloqué s’il veut gouverner avec la coalition l’ayant mené au pouvoir en 2018. Peu après le début du procès des ex-dirigeants des séparatistes catalans, ces derniers avaient refusé de voter le budget, provocant par la même la tenue d’élections anticipées. Le socialiste, qui voudrait ne pas avoir à compter sur eux pour former sa coalition, a réaffirmé récemment son refus de tout référendum d’autodétermination tout en promettant plus d’autonomie. Pas sûr que les indépendantistes offrent, cette fois-ci encore, leur blanc seing à Pedro Sanchez.
Alexis Le Meur
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