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Pour Washington, la Turquie n’en fait pas assez contre Daesh

Ankara a déjà permis aux avions et aux drones américains d’utiliser ses bases, mais Washington, par la voix de son ministre de la Défense Ashton Carter, estime que son allié doit faire plus pour stopper le fléau Daesh.

«C'est une frontière que franchissent le soutien logistique de Daesh et ses combattants. Nous attendons donc [des Turcs] qu'ils en fassent plus à cet égard et nous sommes en discussions active avec eux sur ce sujet», a déclaré Ashton Carter jeudi à propos de la frontière turco-syrienne. Le ministre américain de la Justice a en outre précisé qu'Ankara avait donné son accord de principe pour participer à la coalition qui bombarde depuis un peu plus d'un an les djihadistes de Daesh en Irak et en Syrie.

De toute évidence, les Etats-Unis ne sont pas satisfaits des actions de leurs alliés au Moyen-Orient, et ce n’est pas la première fois que Washington les fustige. «Notre problème principal, ce sont nos alliés», avait accusé en octobre dernier le vice-président américain Joe Biden. Son mécontentement portait sur le fait que les alliés régionaux des Etats-Unis avaient déboursé des centaines de millions de dollars et injecté des dizaines de milliers d’armes dans le conflit en Syrie, mais qu’au final Daesh s’était renforcé à la vitesse de l’éclair en s’appropriant de vastes portions de territoires en Syrie et en Irak.

Ce que Washington oublie de mentionner, c’est que Daesh, dont le commandement se compose majoritairement d’anciens hauts gradés de l’armée de Saddam Hussein, a pu croître et se renforcer après l’invasion de l’Irak par la coalition internationale dirigée les Etats-Unis mais également après que les terroristes sont parvenus à s’accaparer l’aide fournie par les Etats-Unis aux rebelles qualifiés de «modérés» dans la guerre civile en Syrie

Par ailleurs, on ne peut pas vraiment qualifier le résultat des opérations de la coalition américaine en Irak et en Syrie de succès, alors que l’organisation terroriste poursuit son avancée. Mais Washington est loin de reconnaître ses erreurs. Les Etats-Unis se défendent en accusant l’armée irakienne qui, selon Ashton Carter, «n’avait pas la volonté de lutter». L’ambassade américaine en Syrie a quant à elle rejeté le blâme sur Bachar el-Assad qui, pour les Américains, aidait les terroristes qui se sont emparés de près de la moitié de son territoire lors de leur offensive à Alep. Et maintenant, c’est au tour de la Turquie.

L’aide aux rebelles se transforme en aide à Daesh

Ce que Washington ne mentionne pas non plus, c’est que Daesh s’empare des armes de ses alliés qui traversent la frontière et qui sont destinées aux rebelles syriens «modérés». Même s’il n’y a pas de preuves officielles que Washington livre une aide létale aux rebelles, plusieurs rapports de la CIA le laisseraient entendre.

Edmund Gareeb, expert du Moyen-Orient de l’université George Washington, estime que ce conflit est tout simplement devenu une guerre par procuration où «des joueurs régionaux et même internationaux soutiennent l’une ou l’autre des parties en conflit». Les Etats-Unis, n’ont pas non plus fait assez pour répondre à la menace de Daesh, souligne l’expert : «Nous n’avons pas vu une réponse forte des forces aériennes de la coalition».

Même si Washington a été prévenu à plusieurs reprises, y compris par la Russie, qu’une telle politique entraînerait de graves conséquences, les Etats-Unis poursuivent leur politique et accusent maintenant la Turquie. Une cible convaincante, mais pas suffisamment pour éclipser les éléments de preuves croissants qui montrent qu’ils doivent aussi s’en prendre à eux-mêmes pour l’ascension de Daesh.

L’agenda de la Turquie

Si l'on parle des actions et de la lutte de la Turquie contre Daesh (pas assez efficaces, selon Washington), il y a encore une autre chose que les responsables américains et les médias occidentaux ne mentionnent pas : en déclarant la guerre à Daesh, Ankara en profite pour poursuivre ses propres buts et frapper aussi des positions kurdes.

Selon un rapport de l’agence de presse gouvernementale turque Anadolu Agency, au moins 770 Kurdes ont été tués en un mois de bombardement des positions du PKK, parti indépendantiste kurde, au sud de la Turquie et au nord de la Syrie.

Ces événements n'ont pas échappé à la vigilance du célèbre groupe d’activistes Anonymous qui a lancé le hashtag #YourSilenceisKillingKurds. Ce dernier a déjà fédéré beaucoup d’internautes qui ont exprimé leur mécontentement envers le silence de l’Occident sur la question kurde.

La lutte contre Daesh n’est-elle qu’une excuse pour Ankara ?

Le politologue de l’Université de Chicago Ronald Suny estime qu’en affirmant lutter contre le terrorisme, la Turquie s’est attaquée aux Kurdes et aux partis de gauche, «les forces les plus démocratiques du pays». D’après lui, ce serait en raison des élections du 7 juin dernier, où le président du pays Recep Tayyip Erdogan a perdu sa majorité parlementaire.

La situation actuelle représente une déclaration de guerre unilatérale de la Turquie contre les Kurdes, souligne l’expert, alors qu’au sol, ils se sont montrés les combattants les plus efficaces dans la lutte contre Daesh en Syrie et en Irak.

En savoir plus : Les autorités kurdes d'Irak condamnent les raids turcs contre le PKK

Au lieu de les aider dans leur combat contre les terroristes, Ankara «utilise le prétexte des bombardements contre Daesh pour frapper aussi des positions kurdes», indique Ronald Suny.