Lors de sa première comparution devant un juge ce 8 janvier, Carlos Ghosn, s'est dit «faussement accusé et détenu de manière injuste», près de deux mois après son arrestation surprise à Tokyo. Vêtu d'un costume sombre, sans cravate, sandales vertes en plastique aux pieds, le PDG de Renault est apparu amaigri, les joues creuses, menotté, avec une corde autour de la taille avant le début de la séance qui a duré quasiment deux heures.
S'exprimant en anglais, il a rappelé avoir dédié «deux décennies de sa vie à relever Nissan et bâtir l'alliance», une entreprise qu'il dit aimer. Le dirigeant franco-libano-brésilien affirme «avoir agi avec honneur, légalement et avec la connaissance et l'approbation des dirigeants de la compagnie», selon une déclaration écrite qu'il a lue.
Risque de fuite
Le juge a justifié de son côté son maintien en détention par un risque de fuite à l'étranger «où il a des bases» et par un risque d'altération de preuves.
Dès les premières heures de la matinée, une longue file s'était formée devant le tribunal. Plus d'un millier de personnes, parmi lesquelles de nombreux journalistes étrangers, ont patienté dans le froid pour tenter de décrocher une des rares places dans la salle : seulement 14 tickets avaient en effet été alloués par tirage au sort à des membres du public.
L'ambassadeur de France au Japon, Laurent Pic, était présent «dans le cadre de la protection consulaire», tout comme son homologue du Liban. La procédure de comparution de ce type est rare, seulement 0,6% des détenus ont fait une telle requête l'an dernier. Elle n'a quasiment aucune chance de changer le cours des choses mais la portée symbolique est forte pour Carlos Ghosn, qui a pu rompre le silence médiatique dans lequel il était muré depuis plusieurs semaines.
En prison jusqu'au procès ?
Son équipe d'avocats, menée par un ancien procureur, Motonari Otsuru, va déposer une demande de levée de détention pour son client qui, soupçonné d'abus de confiance, restera en garde à vue jusqu'au 11 janvier.
Il risque cependant une nouvelle inculpation sur ces faits, a confié Motonari Otsuru à la presse. Le cas échéant, cela déclencherait le début d'une nouvelle période de détention provisoire, venant se superposer à celle déjà en cours après sa première mise en examen, le 10 décembre dernier, pour dissimulation de revenus.
Après des espoirs déçus en décembre, peut-il malgré tout être relâché sous caution? «De manière générale, dans les cas de déni total des accusations d'abus de bien confiance, la libération sous caution n'est le plus souvent pas approuvée jusqu'à l'ouverture du procès», qui ne devrait pas intervenir avant six mois au moins, a déclaré son avocat.
Deux des filles de Carlos Ghosn, interviewées par le New York Times, se sont interrogées sur l'hypothèse d'une cabale de Nissan afin de contrer un éventuel projet de fusion avec Renault.
Ce scénario est réfuté par le constructeur japonais qui dit n'avoir eu d'autre choix que de «mettre fin aux graves agissements» de celui qui l'avait naguère sauvé.
L'affaire est partie d'un ou de plusieurs lanceurs d'alerte au sein du groupe. Ce dernier a mené l'enquête dans le secret pendant plusieurs mois avant de transmettre ses informations au parquet, lequel a parallèlement conduit ses propres investigations.
Plusieurs centaines de salariés de Nissan sont toujours mobilisés et chaque semaine ou presque, de nouveaux soupçons filtrent dans les médias. «L'enquête de la compagnie se poursuit, et son champ continue de s'élargir», a répété le constructeur japonais le 8 janvier, disant que sa décision de limoger Carlos Ghosn était irrévocable.
Face à cette avalanche d'accusations, Renault a pour l'heure fait profil bas, choisissant de maintenir sa confiance à Carlos Ghosn.
Le 8 janvier, la direction de la marque au losange n'a pas souhaité faire de commentaire, tandis que l'Etat, actionnaire de Renault, réitérait le «principe de présomption d'innocence».
«Le gouvernement n'a pas d'indications aujourd'hui qui peuvent le conduire à conclure qu'il y a une responsabilité de Carlos Ghosn», a affirmé la ministre des Transports Elisabeth Borne, interrogée sur la radio France Info.
«La gouvernance de Renault, elle est assurée, il y a une gouvernance provisoire mise en place [confiée au numéro deux Thierry Bolloré]. Evidemment, si cet empêchement devait durer, il faudrait en tirer les conséquences», a-t-elle ajouté.
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