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Restitution des œuvres spoliées à l'Afrique ? Ce que préconise le rapport demandé par Macron

Un rapport commandé par le président français sur l'éventuelle restitution des œuvres considérées comme volées à l’Afrique du temps des conquêtes militaires et des colonies est sans appel. Pour les auteurs, il faut en rendre des dizaines de milliers.

Que faire des œuvres d’art africaines spoliées durant les invasions militaires françaises ou les colonies, aujourd'hui souvent réclamées par leurs pays d’origine ? Un rapport sur la restitution du patrimoine africain, consulté par le magazine Le Point, est sans appel : la France doit rendre tout ce qui a été obtenu illégalement ou sans consentement en Afrique subsaharienne. Cette région du monde aurait selon différents experts, été dépossédée de 90% de ses œuvres et objets précieux.

Les deux spécialistes missionnés, l’écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr et l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy, membre du collège de France, ont été mandatés par Emmanuel Macron, désireux de voir «le retour du patrimoine africain à l’Afrique» avant la fin de son mandat. Les conclusions du rapport, qui sera rendu public le 22 novembre, abondent dans ce sens, et vont plus loin que les suggestions de la lettre de mission du président, qui préconisait des restitutions définitives mais aussi temporaires.

«Le présent rapport explore et défend la voie vers des restitutions pérennes», est-il mentionné dans le document. Des préconisations qui affoleront sans conteste les musées dont certaines collections comptent des œuvres africaines par dizaines de milliers, comme le Quai Branly qui en possède 70 000. A titre de comparaison, selon Bénédicte Savoy, certains pays d'Afrique subsaharienne ne disposeraient que de quelques milliers de pièces patrimoniales.

L'appropriation et la jouissance du bien que l'on restitue reposent sur un acte moralement répréhensible 

Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ne visent pas toutes les œuvres africaines détenues par la France, mais seulement celles qui ont été emportées. Selon eux, le terme restitution «rappelle que l'appropriation et la jouissance du bien que l'on restitue reposent sur un acte moralement répréhensible (vol, pillage, spoliation, ruse, consentement forcé, etc.)». Les deux experts détaillent ainsi quelles œuvres sont concernées : les objets saisis dans certaines opérations militaires avant 1899, les objets collectés lors de missions scientifiques sauf si les propriétaires des œuvres ont consenti à les céder, les objets confiés à la France par des agents de l'administration coloniale ou leurs descendants, sauf si le consentement du détenteur initial de l’œuvre est avéré. Sont également concernés les objets rapportés après 1960 dans le cadre de trafics.

Ces restitutions ont plusieurs visées, notamment celle d’instituer «une nouvelle éthique relationnelle» avec les pays d’Afrique subsaharienne. «C'est parler de justice, de rééquilibrage, de reconnaissance, de restauration et de réparation, mais surtout, c'est ouvrir la voie vers l'établissement de nouveaux rapports culturels reposant sur une éthique relationnelle repensée», expliquent les deux experts. Ces objets seront voués à un nouvelle circulation, mais dans un échange d’égal à égal entre pays.

Les musées français vidés de la cave au grenier ?

Ces préconisations impliqueraient que les musées français devront pratiquer un nettoyage par le vide à brève échéance. Les deux experts suggèrent d’entreprendre la fabrication de doubles lorsque c’est nécessaire. Cet usage est de rigueur dans de nombreux musées du monde, y compris pour reproduire des œuvres d'artistes nationaux.

La France s’appuie jusqu'ici sur sa législation très protectrice pour conserver sur son territoire des trésors culturels issus du monde entier. Le principe d’inaliénabilité des collections publiques garanti par le droit français bloque a priori toute restitution. Les experts préconisent donc des modifications du code du patrimoine et la signature d’accords bilatéraux afin de permettre le retour des objets grâce à un nouveau cadre juridique.

Jusqu'ici, les pays qui ont souhaité que la France leur restitue des œuvres ou éléments culturels ont dû entreprendre un long combat judiciaire ou ont essuyé de cinglants refus. La Nouvelle Zélande a pu récupérer une vingtaine de crânes maoris en 2012, dont la plupart n'étaient même pas exposés, après une bataille juridique de six ans. La Cour a statué que les restes humains étaient inviolables et a reconnu le droit d'inhumer. Le Bénin avait quant à lui avait réclamé en juillet 2016 des trônes, des portes gravées et autres sceptres, entre «4 500 et 6 000 objets pillés» lors d’une conquête du général Dodds en 1892, selon les autorités béninoises. La France avait opposé au pays une fin de non recevoir.

Dans ce contexte de crispation, Emmanuel Macron avait semblé inaugurer une nouvelle ère en tenant un discours très éloigné de l’attitude en vigueur dans les milieux de la culture en France. Lors de son discours à Ouagadougou au Burkina Faso en novembre 2017, il avait affirmé : «D'ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l'Afrique.» Le patrimoine africain «doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou», avait-il affirmé. Assumera-t-il les préconisations du rapport qui lui conseille de poursuivre dans cette lancée ?

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