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«Linguicide» : la prééminence de l'anglais dans les universités néerlandaises ne passe plus

La domination de la langue anglaise dans les universités des Pays-Bas inquiète professeurs et étudiants, à tel point qu'un syndicat a demandé à la justice de s'en mêler, forçant le gouvernement à prendre position.

«La langue néerlandaise disparaît peu à peu des campus [néerlandais]», déplore Ad Verbrugge, le président du plus grand syndicat dans l'enseignement supérieur, le BON, soulignant la «gravité» d'une situation «inédite en Europe».

Aux Pays-Bas, en effet, 65% des licences et 15% des masters universitaires sont en néerlandais, selon Michiel Hendrikx, porte-parole du ministère de l'Education et de l'Enseignement supérieur. Autrement dit, 85% des masters sont en langue étrangère, ce qui prive l'étudiant du choix de la langue dans la plupart des cursus, une aberration aux yeux du BON.

Les étudiants néerlandais ne maîtrisent plus leur langue maternelle

«Nous assistons à un linguicide», fustige auprès de l'AFP Ad Verbrugge, convaincu que la langue néerlandaise pâtit de tout cet amour pour la langue de Shakespeare. «On prône toujours la diversité mais là, on tue une langue minoritaire en uniformisant l'anglais. Nous devons préserver toutes les langues et cultures européennes», affirme le syndicaliste et professeur de philosophie à l'Université d'Amsterdam, avertissant que «les étudiants néerlandais ne maîtrisent plus leur langue maternelle».

Effectivement, en février, l'Académie royale néerlandaise des arts et des sciences (KNAW) avait conclu dans un rapport que les Pays-Bas n'étaient pas suffisamment attentifs à la qualité de la langue néerlandaise et donnaient trop d'importance à l'anglais.

Deux universités accusées de «tuer» la langue néerlandaise

Face à cette situation, Ad Verbrugge et ses collègues syndicalistes ont enclenché une action en justice contre deux universités du pays qu'ils accusent de «tuer» la langue néerlandaise à coups de cursus anglicisés.

A Twente (est) et à Maastricht (sud), les facultés proposent deux masters de psychologie exclusivement en anglais. «Il faut rappeler les universités à l'ordre car elles enfreignent la loi», selon laquelle les enseignements et les examens doivent être en néerlandais, une dérogation étant possible uniquement s'il s'agit d'une formation relative à une autre langue, rappelle Ad Verbrugge.

C'est devenu la course à l'étudiant étranger. C'est à celui qui en attire le plus

Le phénomène est tel que des répercussions sont visibles sur le marché du travail. Les jeunes expatriés diplômés sont souvent tentés de rester aux Pays-Bas, à l'économie florissante et au cadre de vie agréable, faisant de l'ombre aux locaux dans la recherche d'un emploi. «C'est devenu la course à l'étudiant étranger. C'est à celui qui en attire le plus», déplore-t-on dans les rangs du syndicat BON. «Nous ne savons pas encore si notre action en justice aboutira mais nous aurons au moins mis le sujet sur la table et ouvert le débat», conclut Ad Verbrugge.

Au pied des amphithéâtres, les étudiants s'interrogent. Ceux qui n'ont pas l'intention de poursuivre une carrière à l'étranger ne saisissent pas l'utilité de «prétendre être anglais face à un professeur tout aussi néerlandais» qu'eux.

Quant au ministère de l'Education, mis sous pression dans un débat public animé depuis les campus jusqu'aux bancs du Parlement, il a annoncé la publication «d'une lettre contenant la position de la ministre» sur le sujet.

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