Le selfie n'est pas passé inaperçu. Saad Hariri, le Premier ministre libanais, a partagé le soir du 9 avril sur son compte Twitter un selfie où on le voit, dans un endroit non identifié et dans un style décrontracté, en compagnie du roi du Maroc Mohammed VI, et du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane («MBS»), avec la mention «sans commentaire».
Or, Mohammed ben Salmane se trouve en visite officielle à Paris du 8 au 10 avril. Le Premier ministre libanais participait quant à lui, début avril, à la conférence de soutien à l'économie libanaise, la conférence CEDRE. Enfin, le souverain du Maroc avait été opéré du cœur dans la capitale française fin février – le 5 avril, le site bladi.net rapportait que le roi se trouvait encore à Paris depuis son opération.
Sur les réseaux sociaux, la photo des trois hommes souriants a fait le buzz.
Une rencontre qui, pour certains commentateurs, n'est pas politiquement anodine. «Un dîner relax à Paris ? Ça va mieux semble-t-il entre Hariri et la maison Saoud...», a par exemple tweeté un journaliste d'Afrique magazine.
Des sourires qui effacent les tensions libano-saoudiennes ?
La bonne entente des trois hommes qui semblent poser comme une bande de copains ne va en effet pas de soi.
En novembre 2017, le Premier ministre libanais annonçait sa démission à la télévision, depuis le royaume saoudien. «Il est clair que la démission était une décision saoudienne qui a été imposée au Premier ministre Hariri. Ce n'était ni son intention, ni sa volonté, ni sa décision», avait alors comenté Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah libanais. Début avril, dans un long récit consacré au prince héritier, «La quête d'un prince saoudien pour refaire le Moyen-Orient», The New Yorker raconte les dessous de cet étrange épisode. Le site The Middle East Eye en a traduit un extrait : «Quand Hariri a été convoqué pour rencontrer MBS, il s'attendait à un accueil chaleureux de la famille royale. "Saad pensait que tous ses problèmes avec MBS seraient résolus"», raconte un assistant de Hariri. «Au lieu de cela, à Riyad, il a été confronté à la police, qui l'a placé en détention. Selon deux anciens responsables américains actifs dans la région, il a été détenu pendant 11 heures. "Les Saoudiens l'ont mis sur une chaise, et ils l'ont giflé à plusieurs reprises", relate l'un des fonctionnaires. À la fin, dans une vidéo surréaliste diffusée à la télévision saoudienne, Hariri, l'air épuisé et crispé, a lu un discours de démission, affirmant qu'il avait fui le Liban pour échapper à un complot iranien visant à le tuer.»
Cité par l'AFP le 10 avril, le député libanais Mouin Merhebi, membre du Courant du futur présidé par Saad Hariri , déclare : «Cette période d'ambiguïté et de flou est désormais derrière nous.»
Selon le parlementaire, le dégel entre le Liban et l'Arabie saoudite devrait se traduire par une redynamisation des liens économiques entre les deux pays, les investissements saoudiens ayant largement reculé ces dernières années. L'Arabie saoudite s'est déjà engagée à aider le Liban à hauteur d'un milliard de dollars dans le cadre de la conférence internationale de soutien au Liban (CEDRE) tenue à Paris début avril.
Les relations entre l'Arabie saoudite et le Maroc, même si elles sont stratégiquement fortes, se sont quant à elles récemment distendues. L'Arabie saoudite, qui fait partie des principaux soutiens du Maroc dans le dossier sur le Sahara occidental, a été vexée de la neutralité du Maroc dans la crise qui l'oppose au Qatar.
Une pluie de tweets
Des internautes ont publié sur Twitter des messages sarcastiques faisant allusion à ces tensions entre les dirigeants. Parmi eux, le site satirique algérien El-Manchar.
Pour un internaute, la présence de Mohammed VI agit comme un «tampon» entre le prince héritier et le Premier ministre libanais : «Tout le monde se réunit à Paris : pas de rancune entre MBS et Hariri, bien que le roi du Maroc Mohamed VI agisse sans doute comme un tampon.»
D'autres internautes ont vu dans cette photo une réponse aux rumeurs de tensions entre le Maroc et l'Arabie saoudite.