Lula da Silva, ancien président du Brésil, s'est rendu dans la nuit du 7 au 8 avril aux autorités de son pays et a été emprisonné. La Cour Suprême a rejeté le 5 avril sa demande d'Habeas Corpus, un mandat juridique qui lui aurait évité l'incarcération avant l'épuisement de tous les recours possibles.
Le leader de parti travailliste brésilien (PT) s'est retranché durant deux jours au siège du syndicat des métallurgistes, où il avait commencé sa carrière. Pendant la dictature militaire au Brésil (1964-1985), c’est depuis ces locaux que le futur président Lula, militant syndicaliste à l'époque, dirigea une grève historique, signant le début de sa carrière politique. Le 7 avril, une scène à la symbolique puissante est venue accompagner cette nouvelle étape de la vie du leader de gauche ; c'est de ce local syndical que des milliers de sympathisants l'ont empêché de sortir pour se rendre à la police.
La justice brésilienne reproche à Lula d'avoir reçu un luxueux appartement en bord de mer de la part d'une entreprise de construction en échange de faveurs dans l'obtention de marchés publics, ce qu'il a toujours catégoriquement nié : «Je suis le seul être humain condamné pour un appartement ne m’appartenant pas. Je suis un citoyen outré, je ne pardonne pas que l’on dise au pays que je suis un voleur. Je veux regarder mes juges dans les yeux», a défié l'ancien président de 72 ans, condamné à une peine de 12 ans de prison pour corruption.
«Je veux continuer à être un criminel»
Donné largement favori à l'élection présidentielle qui doit se tenir en octobre 2018, l'ancien chef d'Etat ne cesse de clamer son innocence. Avant de se rendre en prison, Lula a prononcé un discours après avoir assisté à une messe en mémoire de sa femme, décédée en 2017. Il a interprété cette condamnation comme une tentative de ses opposants de le punir d'avoir sorti de la pauvreté des millions de brésiliens. «Si le crime que j'ai commis était d'apporter de la nourriture et de l'éducation aux pauvres, je dis que je veux continuer à être un criminel dans ce pays.»
Un grand élan populaire a accompagné le départ volontaire de Lula en prison. Sur de nombreuses vidéos, on a pu voir des milliers de sympathisants le porter à la sortie du syndicat métallurgiste. Puis, Lula est arrivé à bord d'un hélicoptère sur le toit du siège de la police fédérale de Curitiba (sud du Brésil).
Les réactions internationales et les témoignages de soutien des leaders de gauche ont été nombreux. En France, Jean-Luc Mélenchon a immédiatement réagi, dès le 6 avril, dénonçant «un infâme coup d'Etat judiciaire».
Des manifestations ont eu lieu dans de nombreux pays, notamment dans toute l'Amérique latine, en soutien au leader emprisonné. Un rassemblement s'est aussi tenu à Paris, place de la République, le 8 avril. Les manifestants ont scandé des slogans hostiles à l'ingérence américaine et à l'actuel président brésilien Michel Temer.
En Europe également, des voix de gauche se sont fait entendre. Pablo Iglesias, le leader du parti espagnol Podemos a dénoncé «une dérive autoritariste» au Brésil et a demandé la libération de Lula.
En toute logique, en Amérique latine, les dirigeants et leaders de gauche ont exprimé à de multiples reprises leur solidarité sans faille avec Lula.
Dès le 4 avril, le président vénézuélien Nicolas Maduro déclarait : «Pas seulement le Brésil, le monde entier t'embrasse, Lula. Cette injustice blesse l'âme. La droite, confrontée à son incapacité à gagner démocratiquement, a choisi la voie judiciaire pour intimider les forces populaires. Tôt ou tard, la Grande Patrie vaincra.»
Le président bolivien Evo Morales a publié deux photos de Lula porté par ses sympathisants. Une datant des années 1960-1970 et une juste avant son incarcération le 7 avril. «Dites au frère Lula qu'il n'est pas seul. Les peuples n'abandonnent jamais leurs dirigeants qui travaillent pour eux. Au nom du peuple bolivien, nous exprimons notre solidarité, la lutte continue pour Lula, nous sommes sûrs qu'il reviendra et gagnera», a-t-il commenté.
Dans un autre tweet, le président bolivien, qui fut aussi syndicaliste, avait déclaré : «Les crimes de Lula sont : avoir été un président ouvrier, être du côté des travailleurs et des pauvres qui sont victimes des États coloniaux.»
Rafael Correa, l'ancien président équatorien, s'en est pris, quant à lui, aux grands groupes de presse brésiliens : «Tout un peuple se lève pour défendre Lula ! Des années d'infamie de la part de la presse brésilienne corrompue n'ont pas été capables de la détruire, et ils ne pourront pas non plus nous détruire.»
De l'avis de nombre de ses soutiens, Lula remporterait largement les élections présidentielles à venir. Parmi ces soutiens, Cristina Fernandez Kirchner, l'ancienne présidente argentine a déclaré : «Aujourd'hui, au Brésil, quelque chose est devenu définitivement clair. Lula remportera les prochaines élections présidentielles et les élites au pouvoir, qui n'ont jamais été soucieuses de justice ou de démocratie, utilisent l'appareil judiciaire pour son interdiction. Toute notre affection pour lui.»
Même le lanceur d'alerte Edward Snowden a relayé des tweets de soutien au leader brésilien et notamment un article avec pour accorche: «Cette révolte contre ce qu'ils disent être "l'impunité" est un mensonge et ne résiste pas aux faits. L'indignation n'est pas basée sur des principes moraux mais idéologiques.»
Le réalisateur américain Oliver Stone a relayé des tweets des journalistes Glenn Greenwald, fondateur de The Intercept et de Jonathan Watts du Guardian, rappelant tous deux que malgré son interpellation, «Lula reste le leader brésilien le plus populaire de son pays». Les deux journalistes ajoutant que son «incarcération n'est qu'un stratagème électoral cynique» et que «la Cour suprême devrait juger Temer, Aécio et Jucá», l'actuel président brésilien et d'autres politiciens, soupçonnés eux aussi de corruption.
Selon le journal communiste français L'Humanité, «un premier coup de théâtre» pourrait intervenir très bientôt. Selon le quotidien, Lula pourrait être libérable prochainement grâce à une mesure provisoire qui suspendrait l’incarcération de toute personne ayant encore une possibilité de recours auprès d’une instance supérieure. Marco Aurelio Mello, l’un des 11 magistrats de la Cour suprême du Brésil, doit soumettre cette mesure au vote le 11 avril.
Meriem Laribi
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