Le 19 novembre, l'Allemagne est entrée dans la plus importante crise politique de son histoire depuis 1945. Il s'agit également du plus gros échec de la carrière d'Angela Merkel, dont l'avenir politique est désormais sérieusement compromis : après plusieurs semaines d'âpres négociations, son parti, la CDU, n'est pas parvenu à s'entendre avec les écologistes et les libéraux (FDP) pour former une coalition de gouvernement. Le pire scénario, à peine envisageable il y a quelques jours encore, est désormais plus que probable : les Allemands, qui avaient voté en septembre dernier, pourraient bien retourner aux urnes début 2018.
Malgré le volontarisme affiché par ses cadres, la CDU se trouvait dans une bien difficile position. Son ancien allié social-démocrate (SPD) avait refusé de reconduire l'alliance qu'il avait formée avec le parti d'Angela Merkel. Depuis plus d'un mois, celle-ci tentait d'obtenir un compromis, inédit, entre trois partis aux programmes très différents. Les deux principaux points de désaccord que constituaient la transition énergétique et la politique migratoire auront finalement eu raison de la patience des libéraux.
«Il est préférable de ne pas gouverner que de mal gouverner», a déclaré à la presse à Berlin le président du FDP Christian Lindner juste après avoir quitté la table des négociations. La chancelière a «déploré» cette décision, estimant qu'un accord aurait été possible si ses interlocuteurs avaient été un peu plus enclins au compromis. Faute d'alternative, la première puissance économique européenne se prépare à plusieurs semaines, voire mois, de paralysie politique, sur le plan national comme en Europe. L'avenir du pays est désormais entre les mains du président Frank-Walter Steinmeier, seul a pouvoir convoquer de nouvelles élections.
Que va-t-il se passer ?
Si Frank-Walter Steinmeier décide, après s'être entretenu avec Angela Merkel, d'appeler de nouveaux les Allemands aux urnes, la crise politique serait sans précédent outre-Rhin. Au pouvoir depuis 2005, la chancelière a certes remporté les dernières législatives mais en offrant à son parti, la CDU, son pire score depuis 1949. Un nouveau vote pourrait par ailleurs fortement participer à renforcer la percée du parti anti-immigration, l'AfD.
Autre possibilité : que le SPD décide finalement de participer à un gouvernement. Jusqu'ici, ses cadres s'y sont fortement opposés. L'expérience d'un partage du pouvoir entre 2013 et 2017 avec le parti d'Angela Merkel lui a déjà coûté de nombreuses voix. Difficile d'ailleurs de gouverner avec une coalition dont ne veulent ni les chefs de parti, ni les militants, ni les électeurs. Enfin, institutionnellement comme politiquement, une telle alliance ferait de l'AfD le premier parti d'opposition – un choix risqué pour Angela Merkel, qui sait à quel point la crise migratoire lui a porté préjudice.
Reste alors l'option très improbable d'un gouvernement minoritaire. Angela Merkel pourrait s'allier avec le FDP sans les écologistes et tenter de gouverner en comptant sur des ralliements ponctuels et occasionnels de députés d'opposition. La chancelière a déjà annoncé qu'elle se refusait à une telle solution, tout aussi inhabituelle que complexe.
La fin de l'ère Merkel ?
Angela Merkel aura toutes les peines du monde à convaincre la CDU de se remettre en campagne, et encore davantage de la soutenir. L'aile la plus conservatrice de son parti, qui s'inquiète de voir ses électeurs lui préférer l'AfD, s'opposera sans doute à tout recentrage politique. Or, c'est précisément ce recentrage qu'incarnait Angela Merkel et dont elle a besoin pour négocier une alliance. Dans un tel contexte, la chancelière semble plus que jamais dans une impasse.
L'échec de la coalition marque «la fin politique d'Angela Merkel», estimait le 19 novembre au soir le politologue allemand Frank Tecker sur la chaîne de télévision parlementaire nationale, Phoenix. Selon un récent sondage, plus de 60% des Allemands pensent qu'elle ne pourra plus rester en poste désormais. Promettant de tout faire pour que le pays soit «bien dirigé» pendant la période de transition qui s'annonce, Angela Merkel semble avoir en tête que son départ reste l'option la plus probable. Là encore, la crise sera loin d'être résolue : après 12 ans au pouvoir, la CDU n'a pas réellement d'autres figures charismatiques sur qui compter.
Au lendemain de l'annonce de l'échec des négociations, la presse allemande parle de «Brexit allemand». Les répercussions sur le couple franco-allemand pourraient compliquer la tâche d'Emmanuel Macron, qui trouvait en Angela Merkel une alliée de poids. Mais elles pourraient également lui permettre d'exercer le leadership européen et d'occuper un espace politique et médiatique désormais dégagé.