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Pikachu a-t-il aidé la Russie à pirater l'élection US en 2016 ? CNN pense en avoir la preuve...

Dans un article présenté comme une enquête exclusive, CNN affirme que des «agents», prudemment présentés comme «liés à la Russie» ont détourné le jeu Pokémon Go afin d'attiser les tensions raciales aux Etats-Unis. Et donc la campagne présidentielle ?

Ca y ressemble mais ce n'est pas une blague. Le jeu de réalité virtuelle Pokémon Go aurait été détourné par de supposés agents russes afin d'influencer l'opinion publique américaine, lors de la campagne présidentielle de 2016. C'est ce qu'affirme CNN, dans une «enquête» publiée le 12 octobre 2017.

Au cœur d'un système présenté comme tentaculaire, la chaîne d'information continue pense avoir repéré l'entreprise russe Internet Research Agency, présentée comme une usine à trolls. Une réputation que l'entreprise russe basée à Saint-Pétersbourg doit à un article du site BuzzFeedNews remontant à 2014. Internet Research Agency, avance CNN, aurait administré plusieurs comptes sur les réseaux sociaux (comme Tumblr et Instagram), et commandité la mise en ligne d'une chaîne YouTube baptisée Donotshoot.us («Ne nous tuez pas»). Le but, d'après CNN ? «Attiser» les tensions raciales aux Etats-Unis, en organisant un concours invitant les internautes à faire des captures d'écran de Pokémon dans des lieux où des violences policières contre des Afro-américains s'étaient produites.

CNN semble ainsi s'éloigner de plus en plus de l'hypothèse d'un «piratage» de l'élection américaine elle-même, pour tenter d'étayer la thèse d'une déstabilisation de la société américaine de façon générale.

C'est de façon aussi légère que la chaîne de télévision explique l'émergence de problèmes de racisme aux Etats-Unis aujourd'hui : encore les Russes... et les Pokémon qu'ils contrôlent

La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a fait part de ses réserves sur Facebook. «Selon la logique de CNN, les Afro-américains forgent leur opinion en jouant à Pokémon», a-t-elle relevé avec ironie, poursuivant : «C'est de façon aussi légère que la chaîne de télévision explique l'émergence de problèmes de racisme aux Etats-Unis aujourd'hui : encore les Russes... et les Pokémons qu'ils contrôlent.»

Démonstration très fragile

La théorie de CNN souffre de fait de plusieurs faiblesses, n'apportant en réalité aucune preuve déterminante. Le média avance ainsi à l'appui de sa thèse une simple «source familière avec le sujet», pour confirmer que la page Facebook «Don't shoot us» avait été suspendue pour ses liens présumés avec l'Internet Research Agency. 

Plus gênant, selon les auteurs de ladite enquête, Facebook, Instagram et Twitter se sont refusés à confirmer l'information, ou, même à la commenter. Selon CNN, ce silence s'explique par le fait que ces géants des réseaux sociaux doivent s'exprimer devant le Sénat américain le 1er novembre. Encore selon «plusieurs sources», avance le média.

Seul élément un peu plus solide, CNN se prévaut d'avoir obtenu une déclaration exclusive de Niantic, le développeur du jeu Pokémon Go. «Il est clair, d'après les images que CNN nous a communiquées qu'une partie tierce s'est appropriée des éléments de notre jeu et en ont abusé sans notre permission», a déclaré la société, constatant l'évidence. Mais pour autant, souligne Niantic, citée par CNN, ce concours invitait les internautes à faire de simples «captures d'écran» lorsqu'ils jouaient à Pokémon Go, mais ne constituait pas une opération au sein du jeu lui-même. Le titre de l'article de CNN, «Même Pokémon Go a été utilisé dans la campagne intensive d'ingérence liée à la Russie», paraît ainsi un peu tiré par les cheveux...

Copier-coller dans d'autres médias

Pourtant, l'«enquête» de CNN a été très vite reprise, parfois telle quelle, par plusieurs médias influents, y compris en France. Si le site consacré aux nouvelle technologie Numerama garde la tête froide et préfère utiliser pour son titre le conditionnel journalistique, L'Obstitre sans hésitation : «La Russie a utilisé Pokémon Go pour attiser les tensions raciales».

Ce n'est pas la première fois que CNN tente de présenter les preuves d'une ingérence russe dans la campagne présidentielle. En juin, la chaîne d'information internationale avait notamment accusé à tort un conseiller de Donald Trump, Anthony Scaramucci, d'avoir rencontré le représentant d'un fonds d'investissement russe fin 2016. 

Faute de preuve décisive, CNN avait dû retirer l'information du site et présenter ses excuses.

La chaîne semble maintenant tenter sa chance en élargissant le chef d'inculpation à une supposée déstabilisation de la société américaine. Après avoir tenté sans succès de démontrer un piratage informatique russe du Parti démocrate pendant la campagne présidentielle américaine, les médias américains se sont retranchés sur le terrain de l'information et des réseaux sociaux, troquant au passage le piratage stricto sensu pour le concept plus vague d'ingérence dans le processus démocratique américain. Avec des Pokémon...

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