L'affaire dite du «Kazakgate» continue d'entacher le quinquennat de Nicolas Sarkozy et son premier cercle de fidèles. Claude Guéant, ex-secrétaire général de l'Elysée est ainsi venu s'expliquer devant le Parlement de Belgique à ce sujet, le 3 mai. «Je dois dire la vérité, c’est-à-dire ma vérité, ce dont je me souviens», a déclaré l’ancien ministre français, après avoir prêté serment.
En cause : un contrat de quelque 2 milliards d'euros signé en 2010 entre la France et le Kazakhstan pour la vente d'hélicoptères de type Eurocopter EC145. Une transaction sur laquelle pèsent des soupçons de «corruption d'agents publics étrangers» et de «blanchiment en bande organisée» par le biais de rétrocommissions.
Deux juges d'instruction parisiens, Roger Le Loire et René Grouman, enquêtent depuis 2013 sur cette affaire aux ramifications complexes dans laquelle un ancien préfet sous Nicolas Sarkozy et ex-conseiller à l'Elysée pour l'Asie centrale, Jean-François des Rosaies, une avocate de Nice, Catherine Degoul (mise en examen en 2014), et un certain Aymeri de Montesquiou, ex-représentant de Nicolas Sarkozy en Asie centrale sont aussi impliqués.
Maire de Marsan, dans le Gers, et sénateur, Aymeri de Montesquiou s'est rendu à de nombreuses reprises au Kazakhstan dans les années 2000 au point de devenir très proche du président kazakh, Noursoultan Nazarbaïev. Aussi, le manoir du sénateur-maire, qui a servi d'intermédiaire entre les entreprises françaises et les autorités kazakhes, est perquisitionné en 2014.
Claude Guéant au secours des oligarques kazakhs
L'affaire concerne également la Belgique, puisque trois hommes d'affaires belges d'origine kazakhe – Alexandre Machkevitch, Alijan Ibragimov et Patokh Chodiev – sont soupçonnés d'avoir servi d'intermédiaires dans la conclusion de la vente d'hélicoptères, en échange de rétrocommissions. Or, les médias belges Le Vif/L'Express et De Standaard ont révélé ce 3 mai 2017, l'existence d'une note de Claude Guéant, attestant de ses liens avec Patokh Chodiev et de son insistance à ce que les avocats de ce dernier soient «maintenant rémunérés».
Mais ce n'est pas tout, Claude Guéant, devenu ministre de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy entre-temps, se félicite du «magnifique travail» du président du Sénat belge, Armand de Decker, en référence à une loi votée par le Parlement belge relative aux délits financiers.
«Cher Damien, J'ai eu A. De Decker au téléphone. C'est vrai que lui et son équipe ont fait un magnifique travail qui ne peut que servir les intérêts de la France... Mon souci maintenant est très prosaïque : c'est que les avocats qui ont travaillé pour Chodiev soient maintenant rémunérés... Pouvez-vous toucher ou faire toucher Chodiev ? Amitiés. CG», avait écrit, en août 2011, Claude Guéant à Damien Loras, représentant de l'homme d'affaires kazakh.
Armand de Decker à l'initiative d'une législation belge plus clémente ?
Armand de Decker, avocat et parlementaire, avait à l'époque obtenu de la justice belge une transaction pénale, permettant de mettre fin aux poursuites ciblant les trois hommes d'affaires. Mais avant cela, il fallait faire passer une loi au Parlement belge afin d'élargir ce type de procédure aux délits financiers. Ce qui fut fait en un temps record, comme l'atteste un mail envoyé par le conseiller de Nicolas Sarkozy Etienne des Rosaies en 2011. Un message dans lequel ce dernier se félicite, «pour information au PR» – comprendre le président de la République, Nicolas Sarkozy – du bon accueil du «texte de loi organisé et suscité par Armand de Decker».
Or, il se trouve qu'Armand de Decker, parlementaire belge se trouve être aussi l'avocat de Patokh Chodiev. Grâce à cette double casquette, Patokh Chodiev ainsi que les deux autres oligarques proches du président kazakh ont donc pu échapper aux poursuites contre une somme forfaitaire de 23 millions d'euros. Armand de Decker, lui, touchera – légalement – plus de 740 000 euros d'honoraires pour ses bons offices, appliquant une loi qu'il a lui même promue.
«Qu’une équipe d’avocats soit suivie par la France dans un dossier de ce type c’est d’une totale banalité», s'est défendu Claude Guéant devant la commission «Kazakhgate» du Parlement belge, assumant qu’une transaction pénale «pouvait déboucher pour la France sur des accords commerciaux non négligeables».
En 2011, à l'occasion d'une visite du président kazakh Nazarbaïev, Nicolas Sarkozy avait alors déclaré son intention de faire du Kazakhstan un partenaire «privilégié». Dès 2009, Noursoultan Nazarbaïev avait demandé au président français de venir en aide à ses «amis», dont Patokh Chodiev, déjà dans le collimateur de la justice belge pour une autre affaire de corruption.
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