Un projet d'amendement, proposé par la sénatrice américaine démocrate Jeanne Shaheen, a pour but de donner au Département de la justice le pouvoir d’enquêter sur «les sources de financement de RT et ses liens avec l’étranger». Appliqué à la loi intitulée «Foreign Agents Registration Act» (FARA), cet amendement se veut une réponse à la présumée ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine de 2016.
A l'origine de son ire, le très controversé rapport de la Direction du renseignement national (ODNI), censé démontrer l'ingérence de la Russie dans les élections présidentielles américaines. On peine pourtant à y trouver d'authentiques preuves de ces allégations, sauf à imaginer que des articles de RT critiques à l'égard d'Hillary Clinton en constituent. Ce rapport comporte en outre un certain nombre de maladresses peu à même de prouver son sérieux, comme cette confusion manifeste entre la Suisse (Switzerland en anglais) et... le Swaziland, petit pays enclavé en Afrique du Sud.
Ce qui n'empêche pas la sénatrice d'asséner dans un communiqué : «Nous avons de bonnes raisons de penser que RT News et le gouvernement russe se coordonnent pour désinformer le public et saper le processus démocratique [...] Mon projet de loi permettra de savoir à qui RT rend des comptes.»
A qui RT rend-il des comptes ?
Il est pourtant de notoriété publique que RT est un média financé par l’Etat dont il est issu. Comme bien d'autres organes, tels que France 24, la BBC ou encore la Deutsche Welle, qui ne ne se cachent pas davantage d'en promouvoir les «valeurs» (BBC) ou la «vision» (France24). Mais seul RT a les faveurs de ses attentions.
«A ce rythme, ils vont bientôt tirer sur nos journalistes dans la rue», a ironisé la rédactrice en chef de RT, Margarita Simonyan, glissant sur le même ton une référence claire au «péril rouge» des années 1950 : «Avec les salutations de la sénatrice Shaheen au sénateur McCarthy.» Joseph McCarthy s'est rendu tristement célèbre pour avoir lancé aux Etats-Unis une authentique chasse aux sorcières, traque implacable de militants communistes présumés dans une ambiance de soupçon généralisée.
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a de son côté bien accueilli la nouvelle : «Nous sommes reconnaissants envers la sénatrice pour avoir œuvré à la popularisation de l'excellente chaîne d'information qu'est RT.» Il a également expliqué, non sans malice, que le Kremlin espérait que cette «contribution à la promotion de RT» permettrait à «des milliers, des dizaines de milliers ou même des millions de téléspectateurs d'accéder à une couverture alternative par la chaîne de télévision RT».
FARA est une loi datant de 1938, qui contraint les acteurs «politiques et quasi-politiques» représentant les intérêts d’un pays étranger à dévoiler les relations qu'ils entretiennent avec ces pays ainsi que leurs sources de financement. Cette loi ne concerne toutefois pas les activités des médias étrangers, protégés par le premier amendement de la Constitution américaine et la sacro-sainte liberté d’expression. Un statut privilégié auquel ledit amendement mettrait un terme.
Si l'amendement de la sénatrice n'a que peu de chances d'être adopté, il rejoint la cohorte d'attaques dont les médias russes sont victimes ces derniers temps. Une agence de l’Union européenne, East Stratcom, créée en 2015 pour lutter contre ce que l’UE qualifie de «propagande russe», a ainsi vu son financement augmenter en janvier. En novembre 2016, c'est le Parlement européen qui votait une résolution visant à lutter contre la «propagande russe». Laquelle se trouvait placée sur le même plan que celle émanant des... «terroristes islamistes». En toute mesure.
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