C'est une affaire qui remonte aux années 1990. Et pourtant, les principaux intéressés pourraient bien se voir, près de 20 plus tard, condamnés à des peines de principe. Parmi les prévenus, des sociétés telles que Renault, Total, Schneider Electric, mais aussi l'ancien ministre de l'intérieur Charles Pasqua.
Ceux-ci sont accusés d'avoir versé des pots-de-vin au gouvernement irakien, à l'aide de rétro-commissions et de surfacturations de contrats. Les faits ont eu lieu en 1996, lors de l'embargo international sur l'Irak, alors dirigé par Saddam Hussein.
Après une relaxe générale en première instance lors du procès «Pétrole contre nourriture I», le parquet avait décidé de faire appel. Le procureur de la république avait alors demandé des condamnations de principe. Entendre : des condamnations requises mais sans en préciser la nature ou la valeur.
La thèse de la corruption fragilisée
La relaxe générale en première instance s'explique par un argument apporté par la défense et qui vient mettre à mal les accusations de corruption. Parmi les pots-de-vin versés au gouvernement irakien, la cour n'a constaté «aucun enrichissement personnel». Il a en effet été vérifié que l'ensemble des sommes des surfacturations avaient atterri à la banque centrale irakienne, et non pas sur des comptes privés. Pour le parquet, il s'agissait donc d'une décision «prise par un état souverain», qui ne pouvait s'apparenter à de la corruption individuelle.
Un autre argument de la défense qui fit mouche : le zèle de chaque entreprise impliquée à se tourner vers la diplomatie française. Les demandes irakiennes, notamment celles portants sur l'augmentation de 10% des contrats, pour financer des rétro-commissions, ont toutes été transmises aux autorités françaises avant acceptation. «L’État français a encouragé ces entreprises à aller prendre des marchés en Irak», avait clamé Me Rémy Douarre, le premier défenseur à plaider lors du réquisitoire, en avril dernier.
L'enrichissement personnel est une condition inhérente à la qualification du délit de corruption. Sans preuve qu'un individu en particulier ait bénéficié des sommes utilisées dans les pots-de-vin, les termes «délit de corruption» sont délicats à utiliser pour l'accusation.
Un réquisitoire mis en difficulté par l'agenda
L'accusation peine à se faire entendre, dans une affaire où les différents procès apportent des confusions.
La première instance, dont le délibéré avait été rendu en juillet 2013, avait fait l'objet d'un appel de la part du parquet. Or, ce jugement en appel doit se tenir au mois d'octobre 2015. Le deuxième volet du procès commence donc avant le jugement en appel du premier. Un calendrier absurde, qui risque de fragiliser l'accusation. Le procureur a d'ailleurs reconnu lui-même que le parquet s'était auto-saboté en se fixant un tel agenda.
De plus, selon la plaidoirie de Me Rémy Douarre, le statut d’Etat souverain, dont disposait l'Irak au moment des faits, rend caduques les accusations. D'une part, parce que cette situation vient renforcer l'argument selon lequel le délit de corruption ne peut être avéré (on ne parle pas de corruption lorsque le bénéficiaire est un Etat, mais quand il s'agit d'une personne morale). D'autre part, parce que ce statut d’Etat souverain place l'affaire dans le cadre du droit international. D'après le magistrat, l'affaire ne peut donc relever des délibérés du Tribunal Correctionnel. «vous n'avez pas la compétence pour juger les décisions d'un État souverain», a-t-il affirmé aux juges.
L'embargo en Irak, un flou juridique
Le délit ou le crime de «violation d'un embargo international» n'existe pas en tant que tel. Difficile alors, de juger des faits qui sont reprochés aux prévenus.
En 1996, alors que l'embargo sur l'Irak commençait à s'assouplir, l'ONU avait créé le programme «Pétrole contre nourriture». Ce programme autorisait le gouvernement de Saddam Hussein à remettre son pétrole sur le marché (ce qui était impossible pendant l'embargo). Le but : permettre au pays de financer la création d'une fenêtre destinée à l'aide humanitaire. L’Etat français avait alors encouragé les entreprises de l'hexagone à aller décrocher des contrats. Résultat : de 1997 à 2000, la France devient le premier exportateur mondial à destination de l'Irak.
C'est sur une sollicitation du gouvernement irakien que les sociétés impliquées sont sorties du cadre réglementé par la loi. Le régime de Saddam Hussein, profitant de l'opportunité, avait rapidement mis en place un système occulte de surfacturations. Les sociétés étrangères qui souhaitaient bénéficier du programme étaient tenues de surévaluer leurs factures de 10%. Un pourcentage officiellement dédié aux frais de transport et au service après-vente. En pratique, ces 10% atterrissaient dans les caisses du pouvoir, par le truchement de circuits parallèles.