La capitale du Kazakhstan se mue durant deux jours en théâtre de négociations entre les représentants de Damas et l’opposition syrienne. Un décor que plusieurs villes ont connu avant elle sans beaucoup de succès. Mais cette fois, la configuration est inédite. Non seulement c'est la première fois que des négociations se déroulent sous l'égide à la fois de la Russie, de la Turquie et de l'Iran, mais c'est également l'occasion de voir Damas parlementer avec les chefs rebelles. Les opposants politiques, qui ont négocié sans succès avec le gouvernement syrien au cours de précédentes rencontres, sont cantonnés à un rôle de conseillers. Une première.
Mais à l’issue de ce 23 janvier et premier jour de pourparlers, force est de constater qu'il n'y a pas eu d’avancées notables. Tous les regards sont désormais tournés vers la journée de demain.
Pas de discussion directes
Dès le matin, la journée a commencé avec un coup de théâtre. L’opposition a choisi à la dernière minute de ne pas s'adresser directement aux représentants de Damas. Pourtant, les deux camps étaient tous assis autour d'une même grande table ronde, à l'hôtel Rixos d'Astana, lors de la cérémonie d'ouverture.
Le président kazakh, en bon hôte, a ouvert les discussions : «La situation actuelle en Syrie a attiré l’attention du monde entier. Je dois admettre que ce conflit sanglant, qui dure depuis six ans, n’a rien apporté à part misère et tristesse à la terre sainte sur laquelle différentes civilisations et cultures ont toujours vécu.»
Ces négociations se déroulent sous l’égide de la Russie, de l’Iran et de la Turquie. Selon The Guardian, un communiqué émanant des pourparlers soutient le processus actuel de négociations des Nations unies et propose la création d'une commission trilatérale chargée de superviser le suivi du cessez-le-feu déclaré en décembre 2016. Il demande également une action conjointe pour vaincre l'Etat islamique et d'autres groupes terroristes en Syrie.
Durant ces pourparlers, l'opposition syrienne est représentée par Mohammed Allouche, chef de Jaysh al-Islam, coalition de groupes islamistes et salafistes opérant dans la région de Damas. Il s’est, sans surprise, montré très critique envers le gouvernement syrien qu’il accuse de ne pas respecter le cessez-le-feu.
D’après lui, la présence de militaires iraniens aux côtés des troupes régulières syriennes rend l’objectif de paix difficile à atteindre. Il a demandé que ces derniers quittent le pays et que les combattants du Hezbollah ainsi que ceux du Parti kurde de l'Union démocratique (PYD), soient qualifiés de «groupes terroristes».
De plus, il réclame la libération de combattants de l’opposition détenus dans les prisons du gouvernement. Le départ de Bachar el-Assad est toujours une condition sine qua none à une résolution de la crise selon lui.
«Nous sommes venus ici pour renforcer le cessez-le-feu ce qui constitue la première phase de ce processus», a déclaré Mohammed Allouche. Avant d’ajouter :«Nous n'allons pas passer aux prochaines phases tant que cela n'arrivera pas sur le terrain.»
Nous sommes d'accord pour que les Russes soient garants de la trêve, mais pas les Iraniens
«Nous sommes d'accord pour que les Russes soient garants de la trêve, mais pas les Iraniens», a notamment expliqué un membre de la délégation des rebelles concernant le cessez-le-feu.
Damas ne digère pas
Selon PressTV, Bachar al-Ja'afari, ambassadeur à la tête de la délégation du gouvernement syrien, a confié à des journalistes présents que les participants à la réunion avaient été «stupéfaits» par les remarques «non-éthiques et irresponsables» des représentants de l’opposition.
«Ces représentants ont apporté leur soutien aux crimes de guerre commis par le front al-Nosra et ses éléments en Syrie et ont fustigé les opérations des soldats de l’armée syrienne, qui ont été empoisonnés. Ils ont jugé l'empoisonnement de l’eau justifié», a déclaré le diplomate syrien faisant référence à la récente crise d'approvisionnement en eau traversée par Damas ; crise provoquée par les «rebelles» d’après les autorités syriennes.
N’importe quel observateur ou journaliste verrait ce qui s’est passé comme un acte criminel
Très remonté, Bachar al-Ja'afari a prévenu que la résolution du conflit pourrait pâtir de l’attitude de l’opposition : «N’importe quel observateur ou journaliste verrait ce qui s’est passé comme un acte criminel. Ceci est très provocateur. Cela pourrait dénaturer les accords précédents et saper les efforts réalisés pour résoudre la crise syrienne.»
«Nous sommes venus à Astana pour mettre en œuvre les dispositions de l’accord conclu le 29 décembre 2016. Nous devrions agir sur la base de cet accord. C’est après tout le but des discussions à Astana», a-t-il souligné.
Il a insisté sur la création d'un «processus politique» de règlement du conflit et une séparation stricte entre rebelles et djihadistes de l'organisation Etat islamique (EI) et du Fatah al-Cham (ex-Front al-Nosra, Al-Qaïda en Syrie).
Des pourparlers qui ne supplanteront pas les actions de l’ONU
Un envoyé spécial des Nations unies est également présent à Astana. Staffan de Mistura a déclaré qu'il espérait que les discussions débouchent sur des négociations menées par l’ONU sur la base des résolutions du Conseil de sécurité. L’émissaire doit participer à des pourparlers qui se tiendront le 8 février à Genève. Ce dernier a passé une bonne partie de l’année 2016 à participer à de longues discussions qui se sont avérées infructueuses notamment sur la manière d'imposer le cessez-le-feu, y compris à propos des mécanismes de surveillance et d'application en cas de violation.
Lors de la session d’ouverture, le ministre des Affaires étrangères kazakh a d’ailleurs rappelé que ces pourparlers se déroulaient en complément des actions de l’ONU et ne visaient pas à les supplanter.
Un deuxième jour de négociations par le biais d’une médiation
Les pays organisateurs de la réunion, à savoir la Russie, la Turquie et l’Iran ont mené le 22 janvier des discussions pendant de longues heures qui se sont révélées «difficiles» selon un membre de la délégation russe.
«Les préparations à la réunion sont intenses», avait-t-il déclaré avant de souligner que les trois pays avaient réussi à rapprocher leurs positions sur la plupart des questions inhérentes à la crise syrienne.
Si les pourparlers ont été tendus ce premier jour, les deux camps continuent de laisser la porte ouverte.
Ces rencontres ont été «longues et productives», a souligné un porte-parole de la délégation des rebelles, Yehya al-Aridi, ajoutant avoir eu des discussions «en profondeur» sur les «problèmes politiques» en Syrie avec l'envoyé de Moscou.
Si ce qui sort d'Astana renforce le cessez-le-feu, améliore l'accès à l'aide humanitaire et revient à Genève, c'est quelque chose que nous désirons
«Ce n'était pas une mauvaise journée», a résumé un diplomate occidental. «Si ce qui sort d'Astana renforce le cessez-le-feu, améliore l'accès à l'aide humanitaire et revient à Genève, c'est quelque chose que nous désirons», a-t-il ajouté
Les discussions qui doivent avoir lieu le 24 janvier pour la deuxième session se dérouleront également «au travers d'une médiation», normalement celle de Staffan de Mistura, a déclaré Yehya al-Aridi.
Si elles échouent, malheureusement, nous n'aurons pas d'autre choix que de continuer le combat
De son côté, Abou Zeid, un porte-parole de l’opposition a d’ores et déjà prévenu : «Si les négociations sont un succès, nous sommes pour les négociations. Mais si elles échouent, malheureusement, nous n'aurons pas d'autre choix que de continuer le combat.»