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L'«OSDH» : un seul individu, dans une maison en briques, quelque part au Royaume-Uni

C'est l'une des principales sources des médias occidentaux. Mais dans la frénésie qui suit la reconquête l'Alep, on semble oublier que l'OSDH, ce n'est qu'un seul homme, au Royaume-Uni et quatre correspondants non-identifiés sur le terrain en Syrie.

L'homme est craintif. En octobre 2015, RT avait tenté sans succès de rencontrer le fondateur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). «Ils veulent me tuer», avait avancé Rami Abdel Rahman, également orthographié Rami Abdulrahman, pour justifier son lapin, évoquant les dangers d'une rencontre en plein jour.

Le journaliste Nimrod Kamer avait dû renoncer à visiter les locaux de l'observatoire au nom prestigieux : un modeste pavillon en brique dans la banlieue morne et post-industrielle de Coventry, près de Birmingham, au Royaume-Uni. 

Toutefois, peu après, l'homme traqué acceptait finalement de répondre à quelques questions – préférant le téléphone – d'un autre correspondant de RT, Ilia Petrenko : «Nous sommes attaqués tous simplement parce que nous disons la vérité sur ce qui se passe en Syrie. Apparemment, personne ne veut l’entendre.» Un an plus tard, l'injustice semble réparée, au-delà même des espérance de l'activiste qui a créé l'OSDH en 2006 après avoir fui la Syrie en 2000. Depuis, il n'y a jamais remis les pieds.

L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) est en effet l'une des sources autorisées des médias occidentaux comme des opposants à Bachar el-Assad. Exemple parmi d'autres, France Info, dans un article de pédagogie à l'intention de ses lecteurs, «Quels sont les comptes Twitter à suivre pour s'informer sur la situation à Alep ?», dresse une liste des comptes Twitter, dont le fameux – tout autant que mystérieux – OSDH. Et justifie ainsi son choix : «Même s'il existe des questions sur la fiabilité de l'OSDH, créé en 2006 et tenu par un opposant au régime vivant à Londres, Rami Abdel Rahman, force est de constater que les grandes agences de presse, dont l'AFP, reprennent les informations qu'il diffuse.»

L'OSDH, source des agences de presse

Avec candeur, et l'utilisation de la rhétorique du «même si...» pour désamorcer la critique en la minimisant, France Info, dans une démonstration circulaire et inversée, explique ainsi à ses lecteurs que si l'AFP reprend l'OSDH, c'est que ça doit bien être vrai. «Force est de le constater», indique France Info, recourant à l'argumentum ad verecundiam, l'argument d'autorité. Une démonstration périlleuse puisque l'auteur de l'article lie la réputation de l'AFP à celle d'OSDH (et inversement, donc).

Or l'OSDH fait l'objet de nombreuses controverses, et il n'est pas nécessaire d'aller les chercher dans les médias «pro-régime syrien et pro-russes», comme les qualifie France Info. Il suffit d'aller voir ce qu'en disaient les médias mainstream avant 2014 et l'emballement qui les a saisis depuis lors. 

En octobre 2013, entre autres, le Times of Israel s'intéresse à cet observatoire et rapporte qu'il centralise les informations de quatre activistes anonymes sur le terrain en Syrie, qualifiant Abdel Rahman d'«homme orchestre». A mesure que l'Observatoire devient incontournable pour les médias occidentaux, estime alors le quotidien hébreu, «ses chiffres et ses sources nécessitent d'être mieux examinés».

Les autres défenseurs des droits de l'homme en Syrie tombés dans l'oubli

Comme l'explique le diplomate Ignace Leverrier sur son blog du Monde consacré à la Syrie, dans un post datant de 2014, pour le gouvernement de Damas, jusqu'en 2011, «l’OSDH offrait en effet un grand avantage : il se posait en concurrent direct d’une autre organisation depuis longtemps installée en Grande Bretagne, le Comité syrien de Défense des Droits de l’Homme en Syrie». Bachar el-Assad, par stratégie, s'efforçait alors de noircir le plus possible l'opposition, afin de se poser plus facilement en recours. A ce moment-là, les «rapports» de l'OSDH servent plutôt le «régime» de Damas, et n'avaient pas l'heur de plaire aux agences de presse occidentales. 

Ces dernières préfèraient alors citer, plutôt qu'un obscur observatoire, les organisations de défense des droits de l'homme ayant pignon sur rue, et, au premier chef, le vénérable Comité syrien des droits de l'homme (CSDH) fondé en 1986. C'est avec la répression de l'opposition syrienne, que l'OSDH supplante les autre organismes. Les agences de presse, dont l'AFP, très critiques à l'égard de l'OSDH jusque-là, commencent à reprendre ses «informations».

L'OSDH commence à tenir la chronique avec le début de la guerre civile, déclenchée par des officines occidentales – comme chacune des révolutions du printemps arabe – et bascule dans l'opposition à Damas. Opportunément.

Voir aussi : ONU : une journaliste démonte en deux minutes la rhétorique des médias traditionnels sur la Syrie

Quatre informateurs et «200 activistes» sur le terrain, mais anonymes

Mais ce sont les méthodes de l'OSDH qui posent le plus question. En premier lieu, Rami Abdel Rahman, depuis Coventry fait office à la fois de porte-parole, de directeur, de community manager sur Facebook et d'éditeur du site de l'OSDH. Si l'exilé syrien revendique un contact avec le terrain, c'est par l'intermédiaire de «quatre informateurs» et d'un réseau de 200 activistes sur place. Mais sur ce point, il faut croire Abdel Rahman sur parole.

Malgré son nom destiné à forcer le respect, l'Observatoire syrien des «droits de l'homme« n'est qu'un agrégateur d'«informations» qui ne sont pas vérifiables, et qui pourraient tout aussi bien venir de groupes de terroristes qui chercheraient à influencer l'opinion publique.

L'OSDH ne donne en effet aucune de ses sources. Il n'empêche, ses informations reprises et légitimées par les agences de presse occidentales font foi pour les médias occidentaux, lesquels légitiment à leur tour l'OSDH qui ne manque pas de reprendre sur son site les coupures de presse. Et, dans un mouvement perpétuel auto-entretenu, Twitter comme les grandes institutions internationales, telle l'Organisation des Nations unies, construisent une réalité parallèle, laquelle s'impose comme une évidence à l'opinion publique.

Alexandre Keller

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