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Patriarche Cyrille : les déclarations de Donald Trump «donnent de l'espoir» (EXCLUSIF)

Le chef de l'Eglise orthodoxe russe espère «fortement» que la coopération entre les Etats-Unis et la Russie suivra la voie du dialogue – celle annoncée par le président élu américain lors de sa campagne électorale.

RT : En février de cette année vous avez rencontré le pape François. Ensemble, vous avez appelé à ce que les persécutions à l'encontre des chrétiens s'arrêtent. A votre avis, en fait-on assez pour y parvenir ? Depuis que vous vous êtes exprimés sur la question, la situation s’est-elle améliorée ou, au contraire, a-t-elle empiré ?

Patriarche Cyrille (P. C.) : J’ai souvent eu à m’exprimer à voix haute au nom de l’Eglise orthodoxe russe pour défendre les chrétiens réprimés au Moyen-Orient. Car de toutes les minorités, ce sont les chrétiens qui souffrent le plus. Les chiffres sont ahurissants : en Irak, il y avait plus d’un million et demi de chrétiens. Maintenant il y en a moins de 150 000. Un demi-million de chrétiens ont disparu sans laisser de trace en Syrie. Peut-être ont-ils été tués, peut-être ont-ils émigré. Pourtant, le Proche-Orient est le berceau de la chrétienté et de la culture chrétienne. C’est la raison pour laquelle le massacre des chrétiens et leur déportation de cette région est non seulement un crime contre la foi, contre les droits et libertés de l’Homme, mais aussi comme une catastrophe civilisationnelle, car avec la disparition de la population chrétienne tout changera dans ces Etats.

Si les dirigeants de ces pays, y compris les dirigeants laïques, ont été contraints de prendre en compte la présence des chrétiens et d’élaborer leur politique interne dans l’optique d’un équilibre, maintenant il n’y plus aucun besoin de chercher cet équilibre. Et qui sait ce qui peut arriver à tout ce qui reste de la population chrétienne dans ces pays. Par conséquent, la situation au Moyen-Orient était au cœur de nos préoccupations lors de notre rencontre avec le pape. Il est important d’arrêter cette effusion de sang.

Je ne pense pas que ce soit un processus naturel, que les jeunes s’éloignent des valeurs chrétiennes

RT : Récemment, Donald Trump a été élu le nouveau président des Etats-Unis. Espérez-vous que son administration contribuera à l'amélioration des relations avec la Russie ?

P. K. : En tout cas si on se fonde sur les propos de Donald Trump au cours de sa campagne électorale, on peut juger qu'il a le désir d'engager un dialogue avec la Russie, y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. C’est déjà une très bonne déclaration, elle ouvre des possibilités de collaboration.

J’espère fortement que la coopération entre les Etats-Unis et la Russie suivra cette voie pour faire face à ce danger [du terrorisme]. Mais je ne peux pas pour le moment en dire plus sur Donald Trump. Je ne le connais pas personnellement et je ne connais pas sa vie, je peux seulement le juger sur ses déclarations, et ces déclarations sont très différentes par rapport à ce qu’ont dit les autres. C’est pour cette raison que les propos des autres candidats ne donnaient pas d'espoir, et que ces déclarations-là le donnent. Il est important que les dirigeants des Etats puissants influencent la situation dans le monde par leur politique, et donnent l'espoir d'un avenir meilleur.

RT : Lors de la campagne, Donald Trump n'a pas hésité à dire ce qu’il avait à l’esprit. Vous avez parlé à plusieurs reprises de la persécution des chrétiens dans ces régions, mais les hommes politiques occidentaux en ont rarement parlé à cause de la peur d'offenser l'un ou l'autre avec des propos politiquement peu corrects. A votre avis, pourquoi parle-t-on si peu de ces drames en Occident ?

P. K. : Il semble que le politiquement correct vise à limiter la capacité des chrétiens de confesser leur foi. Par exemple, pourquoi doit-on [en Anglais] remplacer le mot Christmas [qui signifie Noël] par le mot X-Mas ? Lorsque nous posons cette question, on nous dit : «il ne faut pas offenser les non-chrétiens». Nous posons la question aux musulmans : se sentent-ils offensés par le mot Noël ? «Non». Et les sapins de Noël dans les rues ? «Non». Si les musulmans ne sont pas offensés, alors qui l’est ? Très probablement, personne. Et l'Europe est un continent qui s’est développé culturellement et politiquement sur la base des idées chrétiennes. Quand on nous dit qu'elle a des sources anciennes – oui, il y en a, mais elles ne sont pas à jour, contrairement à la morale chrétienne et les lois qui en découlent.

Aujourd'hui, quand l'Europe abandonne soudainement ces idées en faveur d'une sorte de politiquement correct, la question se pose – s’agit-il vraiment du politiquement correct ou d’autre chose ? Cette question surgit également devant nous, dans notre pays, nous qui sommes passés par la persécution athée dans l'Union soviétique. A l’époque on disait aussi que c’était «au nom de la liberté humaine», au nom des «droits de l'Homme», au nom d'un «avenir radieux». Et, pour une certaine raison, seuls les religieux faisaient face à la pression étatique jusqu'à la soi-disant Perestroïka.

Depuis longtemps on avait cessé de se battre contre les capitalistes, les propriétaires terriens, la bourgeoisie, mais on s’est battu contre l'Eglise jusqu'à la fin. Nous avons connu cette expérience et nous nous méfions du fait que, sous le couvert du politiquement correct, des droits et des libertés pour tous, on peut mener une discrimination incontestable contre les personnes qui souhaitent exprimer ouvertement leur foi chrétienne.

Un croyant se sent mal à l'aise dans une société agressivement laïque

RT : Pourquoi n’arrive-t-on pas à pacifier et harmoniser la vie entre les populations musulmane et chrétienne de l'Europe occidentale ? D’après certaines théories, un choc des civilisations y a éclaté. La coexistence pacifique de ces cultures est-elle possible à long terme compte tenu de la crise des réfugiés et du problème du terrorisme ?

P. K. : Le multiculturalisme n'a pas d'avenir, car il implique un melting pot culturel. On fait une sorte de cocktail de différentes cultures et religions qu’il faut agiter fortement. Mais on n’arrivera pas à le mélanger, parce que les traditions sont très fortes, et si le multiculturalisme implique l'affaiblissement des liens entre les gens et leur propre tradition religieuse, il met dès le départ dans la position de personnes discriminées ceux dont il exige un tel refus. Cela forcera les gens à prendre certaines mesures d'autodéfense. L'approche en elle-même est une source de divisions très dangereuse.

Il existe, en fait, d'autres modèles – nous vivons dans une société multinationale en Russie. L’idée du multiculturalisme n’y a jamais existé, même à l'époque soviétique. On proclamait une nouvelle communauté de personnes, appelée «le peuple soviétique», mais tout le monde se rendait compte que les Turkmènes restaient des Turkmènes, les Tadjiks restaient des Tadjiks, les Ouzbeks restaient des Ouzbeks, les Russes restaient des Russes, les Juifs restaient des Juifs. Et cette approche, qui supposait la possibilité de la manifestation nationale des sentiments religieux, a commencé à se développer en particulier dans la nouvelle Russie. Nous ne parlons pas de melting pot. Nous disons que tout homme doit rester lui-même. Mais nous vivons tous dans un même Etat. Nous avons besoin de faire respecter les lois et de construire de bonnes relations avec l'autre. La politique dans ce cas ne doit pas être destinée à effacer les frontières entre les cultures et les religions. [Elle ne doit pas] tout mélanger dans un cocktail, mais [elle doit] soutenir et fournir des droits et des libertés. Pour que chacun, quelle que soit sa religion, sente qu’il est chez lui dans son pays et ne se sente pas comme s’il y était un étranger. Si les relations étaient orientées de cette façon en Occident, cela créerait les conditions d'une coexistence pacifique. Mais je crains que le temps ait été perdu. Il aurait fallu s’en occuper avant, et pas au moment où l’Europe est inondée par de nombreux immigrants de culture et de croyances religieuses différentes, et qui ont une attitude négative vis-à-vis de la culture des pays où ils arrivent. Beaucoup de nouveaux arrivants protestent contre la civilisation occidentale, y compris en raison de cette laïcité agressive et radicale. Un croyant se sent mal à l'aise dans une société agressivement laïque. Tout comme nous dans l'Union soviétique, qui nous sentions mal à l'aise dans une société agressivement athéiste. Quand il n’y a plus d’agressivité, les gens éprouvent de la sympathie envers la communauté formée par des personnes qui vivent dans un Etat.

Aujourd'hui, les valeurs que nous prêchons sont soit immédiatement rejetées, soit ignorées

RT : Vous avez eu une rencontre avec l'archevêque de Canterbury (chef de l’Eglise d’Angleterre après le monarque Britannique), lors de laquelle vous avez exprimé des préoccupations au sujet de la libéralisation de la doctrine de l'Eglise d’Angleterre sur certaines questions, telles que les femmes prêtres et même de la morale et de la famille. Comment, à votre avis, peut-on rendre ces valeurs chrétiennes traditionnelles attractives pour les jeunes d'aujourd'hui, qui – au moins en Occident – s'éloignent de plus en plus de l'Eglise, et sont tentés par l'athéisme. Comme les faire revenir à l'Eglise ?

P. K. : Je ne pense pas que ce soit un processus naturel, que les jeunes s’éloignent des valeurs chrétiennes. C’est un résultat d’influences qui sont exercées sur l'esprit des gens, et pas seulement les jeunes. Si vous regardez le cinéma, les émissions de télévision, la littérature, vous constaterez l’existence d’un paradigme idéologique tout à fait clair, visant, entre autres, à détruire les valeurs religieuses et morales, souvent sans confrontation directe. Il faut uniquement créer une image d'une vie prospère et heureuse sans Dieu, sans avoir à faire passer ses actions et les actions des autres par une épreuve de conscience. Que cela signifie-t-il ? Cela signifie que Dieu est sciemment poussé hors de la vie humaine, cette tendance n’est pas une coïncidence. Et à proprement parler, cela doit être ainsi. Nous savons que l'histoire peut évoluer de différentes manières. Et quand le mal occupe de plus en plus de place dans la vie d'un être humain, il commence à l'emporter. Et il se trouve que le bien est en minorité. Aujourd'hui, les chrétiens sont en minorité.

Aujourd'hui, les valeurs que nous prêchons sont soit immédiatement rejetées, soit ignorées. Pourquoi ? Parce que nous appelons à ce que les gens s’élèvent, gravissent la montagne [de l’esprit]. Et tout ce qu’offre la culture populaire aujourd'hui les tire vers le bas. Si une personne suit son instinct, si notre civilisation est basée sur l'instinct, alors bien sûr, la majeure partie de la population vivra de cette façon, car c’est beaucoup plus simple. Pas besoin de se casser la tête, se créer des difficultés. Voilà une vie facile. Mais la même chose est dite dans l'Évangile : le chemin du salut –est le chemin le plus étroit. Et dans un sens, ce chemin est toujours associé à l'exploit. Mais si ce n’est pas le cas, l'humanité, en effet, va glisser dans l'abîme. Car Jésus n'a pas convaincu tout le monde qui l'écoutait. En outre, à la suite de ce sermon, il aurait fini sa vie sur la croix, s’il n'avait pas ressuscité. Donc du point de vue d’un homme étroit d’esprit, le Christ est un perdant. Si les gens ne croient pas à la résurrection, comment se présente sa fin ? Il a été tué, il a été exécuté.

Depuis 2 000 ans, tout ce qu'ont prêché Jésus-Christ et les apôtres inspirent les gens et les artistes, les écrivains, qui en dépit de la pression externe existant aujourd'hui, créent tout de même leurs œuvres. Mais le plus important, c’est que Jésus trouve sa place dans le cœur de tant de gens. Et aujourd'hui en Russie, énormément de gens se tournent vers la foi. C’est vraiment un phénomène d'une importance historique – la restauration de la vie de l'Eglise, la conversion des jeunes. Et quand les gens choisissent le «chemin le plus étroit», ce chemin les mènera vers les étoiles, parce que c’est le chemin vers le ciel, le chemin vers le haut. Il est toujours difficile, mais il est salutaire.

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