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Etats-Unis : comment le lobby LGBT fait la guerre aux conservateurs

Une bataille fait rage de l'autre côté de l'Atlantique entre pro-LGBT et conservateurs. Les premiers, soutenus par de puissants acteurs, sont en passe de gagner la guerre. Mais quelques gouverneurs sont bien décidés à résister.

Des drapeaux arc-en-ciel qui s’agitent au vent font face aux bannières étoilées. Lundi, dans les rues de Raleigh, en Caroline du Nord, des centaines de manifestants sont venus défendre ou protester contre la loi «HB2» ou «Public Facilities Privacy & Security Act». Le 23 mars, le gouverneur républicain Pat McCrory et les élus ont voté le texte. Officiellement, il est censé lutter contre les discriminations basées sur la religion, l’âge, la couleur ou la race.

Pour ses opposants, certains points sont discriminatoires envers les personnes transgenres. La loi prévoit que les toilettes et les vestiaires situés dans les lieux publics devront être utilisés selon l’identité sexuelle de naissance. Elle restreint également les prérogatives locales en matière d’extension des droits aux homosexuels et transsexuels.

La Caroline du Nord n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Depuis que la Cour suprême américaine a sanctuarisé le droit au mariage gay, certains gouverneurs conservateurs ont choisi la fronde. Poussés par une partie de leur électorat qui voit d’un mauvais œil cette évolution des mœurs, ils ont dégainé l’arsenal législatif. En face d’eux, des forces politiques, médiatiques et financières se déchaînent pour les faire plier. Souvent, avec succès.

Une alliance inédite

Avant même que la Cour suprême ne statue, Mike Pence, gouverneur républicain de l’Indiana, initiait les hostilités. L’Etat du Nord, une fois n’est pas coutume, promulguait l’«Indiana Senate Bill 101», aussi connue sous le nom de loi sur «les objections religieuses». Ses opposants l'ont qualifiée de «discriminatoire». Selon eux, un employeur pourrait refuser un poste à une personne homosexuelle arguant que cela heurte ses convictions religieuses.

L’affaire s’est très vite muée en scandale national. Les médias libéraux, New York Times en tête, s’en sont emparés et le hashtag #BoycottIndiana a fait exploser Twitter. Des maires comme ceux de San Francisco ou Seattle ont accompagné le mouvement. Bientôt rejoints par des célébrités, comme la vedette de Star Trek, George Takei. Si les gazouillis font mal à la réputation, c’est au portefeuille que les coups ont été les plus rudes. Une étude de l’Office du tourisme de l’Indiana a chiffré les pertes à 60 millions de dollars. Douze conférences ont été annulées.

Une alliance entre médias, hommes politiques et le monde des affaires s’est formée pour défendre la communauté LGBT. D’un autre côté, une large partie de l’électorat des Etats conservateurs entend bien préserver son mode de vie. Lors d’un récent passage sur NBC News, Pat McCrory, gouverneur de Caroline du Nord, a défendu sa loi : «J’étais récemment à Hamlet. Une petite ville comme il y en a des milliers aux Etats-Unis. Je suis allé dans un restaurant buffet afro-américain et les gens m’ont accueilli à bras ouverts et m’ont dit "merci de nous protéger". Je suis retourné dans ma voiture et mon téléphone a sonné. Au bout du fil, un membre du monde des affaires. Il m’a dit : "Mec, tu dois changer ça. On est en train de se faire massacrer."»

L’anecdote est très révélatrice. Pat McCrory est pris entre le marteau de sa population et l’enclume du business. Depuis qu’il a promulgué sa loi, c’est une véritable tempête qui s’abat sur lui.

En signe de protestation, la Deutsche Bank a décidé de geler les embauches en Caroline du Nord. La célèbre société de paiement en ligne Paypal a renoncé à ouvrir un gigantesque centre opérationnel qui aurait permis à 400 citoyens de trouver du travail. Dan Shulman, le boss, a justifé sa décision : «La nouvelle loi perpétue la discrimination et viole les valeurs et principes qui sont au cœur de la mission et de la culture de PayPal.»

Certains n’en sont restés qu’aux paroles. Comme Marriott, Starbucks, Facebook, Apple et des dizaines d’autres entreprises qui ont adressé une lettre au gouverneur. Les menaces de représailles économiques y sont à peine voilées par un vocabulaire technique. La loi ne refléterait pas «les valeurs de nos entreprises et de la majorité des habitants de l’Etat». Elle est «mauvaise pour le business» et «diminue l’attractivité de l’Etat en tant que destination touristique et économique».

Et Bruce Springsteen ne viendra pas chanter...

Le show business a sorti les crocs. Le 15 avril, le Cirque du Soleil a annoncé qu’il boycotterait l’Etat. Cyndi Lauper fera le déplacement mais reversera l’intégralité de la recette de son concert à Equality North Carolina, une organisation qui lutte contre le texte.

Ils sont venus allonger une liste déjà bien fournie. L’immense Ringo Starr, batteur des Beatles, ne viendra pas le 18 juin. De même que Bruce «The Boss» Springsteen. Le chanteur à la voix rauque déclare se battre contre «une tentative de personnes qui ne peuvent pas supporter le progrès mené dans notre pays pour reconnaître les droits de tous nos citoyens». Les sportifs n’échappent pas à la polémique. Stephen Curry, la superstar de la NBA, a été interrogé sur sa sensation par rapport à l’affaire. Visiblement gêné, il a éludé la question : «On m'a appris, en tant que catholique, que tout le monde était égal aux yeux de Dieu.»

Parfois, la mobilisation prend des tournures plus… insolites. Ainsi, le célèbre site pornographique XHamster a coupé les connexions en provenance de Caroline de Nord. Les coquins qui tenteront d’accéder au rongeur lubrique se verront redirigés vers une pétition en ligne. Les gérants du site ont même glissé quelques statistiques. Il y aurait eu «400 000 recherches pour le terme "transsexuel" depuis la Caroline du Nord en mars. Les gens de cet Etat ont recherché "gay" 319 907 fois».

Guerre politique

Les hommes politiques composent le troisième rouage de cette alliance tripartite. Les gouverneurs de New York et du Connectictut sont allés très loin dans la contestation. Interdire leur personnel administratif de se rendre en Caroline du Nord relève de l’inédit. Ils ne pourront faire le voyage que pour des raisons «essentielles». Barack Obama y est même allé de son mot : «Je pense que ces lois sont mauvaises et devraient être abrogées. Elles sont d’un côté le résultat d’une volonté politique, de l’autre de fortes réactions émotionnelles des gens.»

L’ONG The Human Rights Campaign affirme avoir repéré environ 200 textes qu’elle juge contraires aux droits des LGBT. Pas moins de 36 Etats seraient concernés. Tout cela dans la seule année de sessions législatives. Pour le moment, le groupe n’a relevé que trois cas qui se sont effectivement mués en lois : la Caroline du Nord, le Kansas et le Mississippi.

Cette législation est faite pour éviter de la manière la plus efficace que le gouvernement interfère dans la vie des gens

En mars dernier, le gouverneur du Kansas, le républicain Sam Brownback, a fait voter un texte autorisant les groupes religieux sur les campus à n’accepter que les membres qui respectent les principes de leur foi. Du côté du Mississippi, le gouverneur Phil Bryant a légiféré. Un texte qui «protège les opinions religieuses sincères ou les convictions morales» des citoyens. Sur les trois millions d’habitants que compte l’Etat, certains pensent que le mariage doit être l’union d’un homme et d’une femme. Et c’est bien ce qui pose problème à l’opposition. «C’est un jour triste pour l’Etat du Mississippi et pour les milliers de ses citoyens qui pourront se voir refuser un emploi, le mariage, la location d’un domicile et autres services essentiels pour ce qu’ils sont», s’est indigné Jennifer Riley-Collins de l’American Civil Liberties Union.

Pour le gouverneur, la loi «ne limite aucun droit constitutionnel». «Cette législation est faite pour éviter de la manière la plus efficace que le gouvernement interfère dans la vie des gens», a-t-il souligné.

A l’instar de la Caroline du Nord, les deux États du Sud ont reçu leur lot de menaces. L’économie n’est jamais loin. L'Association des industriels du Mississippi, qui compte dans ses rangs des géants comme Nissan et Toyota, craint «que les futures opportunités économiques dans la région ne soient balayées».

Nathan Deal, gouverneur de Géorgie, a cédé. Le 28 mars, il a annoncé qu’il poserait son veto à une loi du même genre. «Je ne pense pas que nous ayons besoin de discriminer pour protéger la communauté des croyants de Géorgie, dont ma famille et moi-même avons fait partie toute notre vie», a-t-il déclaré. Les avertissements de Coca-Cola, Walt Disney et autres studios de cinéma ne sont sûrement pas étrangers à cette décision. Après tout, on parlait de quelque 800 millions de dollars en jeu...

Du rififi chez les progressistes

Si certains élus conservateurs marquent leur différence, il en va de même chez leurs adversaires. Dans les Etats qualifiés de «progressistes», les lois sont votées dans le sens inverse. Parfois la surenchère provoque des situations... surprenantes.

L’Etat de Washington par exemple. Le 8 février, un homme se rend dans une piscine de Seattle. Il décide d’aller se changer dans le vestiaire des femmes. A son arrivée, plusieurs femmes et jeunes filles d’une équipe de natation se trouvent à des degrés de déshabillage plus ou moins avancés. Scandalisées, elles demandent à l’homme de partir. «La loi a changé, j’ai le droit d’être ici», leur est servi en guise de réponse. L’individu fait référence à la récente loi que l’Etat de Washington a fait voter. Il a décidé d’autoriser les gens à utiliser les vestiaires de leur choix selon qu’ils se sentent homme ou femme. L’homme quittera finalement les lieux grâce à l’insistance du personnel.

L’affaire a fait grand bruit. Quelques jours plus tard, soutiens et opposants au texte battaient le pavé à Olympia. Début mars, Samuel Green, conseiller juridique de l’Alliance Defending Freedom, s’interrogeait dans les colonnes du Seattle Times : «Cet homme avait-il le droit d’être là ?» Il cite un communiqué de l’établissement «qui suggère que l’homme n’aurait pas eu à partir s’il s’était identifié verbalement comme une femme». Avant de s’insurger : «Soyons clairs. Si cet homme, dans les mêmes circonstances, avait seulement dit, "Relax les filles, moi aussi je suis une femme", le staff l’aurait-il laissé utiliser le vestiaires des femmes ? Pourquoi aurait-il fait une chose pareille ? Car c’est ce que la loi semble demander.»

Les opposants au texte mettent en avant les risques d’agressions sexuelles. «Ils jouent sur la peur de l'agression sexuelle par des personnes trans», réplique Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l'Inter-LGBT. Elle met en avant l’argument selon lequel la peur n’est pas du bon côté : "Une personne trans se sent en danger quand elle n'utilise pas les toilettes de son choix.»

Barack Obama rendra son costume de président le 8 novembre prochain. Du côté des candidats en position de l’emporter, Clinton joue la carte LGBT. Sanders est plutôt bienveillant, de même que Trump. Seul Cruz semble moins favorable. Pour les défenseurs des minorités sexuelles, le ciel semble dégagé.